Omelia del Cardinale J.P.Ricard
Chers frères et sœurs,
Chers amis de la communauté de Sant’Egidio,
Nous sommes aujourd’hui dans un monde où l’émotion, l’émotion fugace, passagère, est reine. Les médias nous informent quasi instantanément des drames qui surviennent aux quatre coins de la planète : accidents, guerres, tremblements de terre comme en Chine, tornades dévastatrices comme en Birmanie…. Flashs télévisés, émissions, documentaires braquent leurs projecteurs sur des pans entiers de notre société, en particulier sur des situations de précarité ou de pauvreté, que nous pourrions, sans cela, parfaitement côtoyer sans les voir. Tout cela nous touche, nous émeut mais provoque souvent en nous deux sentiments contradictoires : la compassion ou l’abattement.
Devant les images bouleversantes de certains drames, la compassion immédiate nous rend plus proches, nous invite à faire quelque chose. Nous pourrons alors aller jusqu’à envoyer un chèque, signer une pétition…mais voilà qu’un nouveau drame chasse le précédent. Cela ne veut pas dire que ce dernier n’existe plus. Simplement on n’en parle plus. Déjà l’attention s’est portée ailleurs, la page est tournée.
L’abattement, lui, peut conduire au sentiment d’impuissance, de résignation, devant ce qui apparaît comme une fatalité : à quoi bon s’investir ? N’y aura-t-il pas toujours des catastrophes, des guerres, jusqu’à la fin des temps ? On cite souvent la parole de Jésus en la détournant de son vrai sens : « Des pauvres, vous en aurez toujours parmi vous. » Du coup, on se désengage, on cherche à retirer son épingle du jeu et on se replie sur l’horizon familial ou sur la recherche de son épanouissement personnel. Parfois, le cynisme n’est pas loin : dans cette jungle - se disent certains – ne faut-il pas chercher surtout à être du côté des gagnants, des vainqueurs et des profiteurs ?
Sur cet horizon, la célébration de l’anniversaire de la communauté de Sant’Egidio nous invite à une toute autre attitude. Elle nous rappelle toute l’importance d’un engagement persévérant. Elle vient nous dire qu’un tel engagement est vital pour notre monde, qu’il est possible, et même, qu’il révèle la vraie dignité de l’homme et la pleine responsabilité du chrétien. Depuis sa naissance, le 7février 1968, avec Andrea Riccardi et quelques étudiants, votre communauté de Sant’Egidio s’est engagée auprès des plus défavorisés (personnes âgées, sans-abri, enfants des rues, prisonniers, handicapés, condamnés à mort, malades du sida…) Elle n’a pas baissé les bras devant les conflits fratricides et les divisions qui ont ensanglanté bien des populations, en Afrique, aux Balkans, en Amérique latine. Elle a pris des initiatives de facilitation pour aider à retrouver la paix, la réconciliation, à renouer le fil du dialogue. Je pense à tout ce qui a été fait, en particulier au Mozambique et au Guatemala. Elle s’est mobilisée à travers ses membres pour venir en aide aux populations civiles victimes de la guerre. Depuis plusieurs années, elle s’est investie dans le dialogue interreligieux pour aider à la paix, pour permettre aux divers leaders religieux de se rencontrer afin de délivrer ensemble un message de fraternité. Chers amis de Sant’Egidio, j’ai participé à plusieurs de vos rencontres internationales interreligieuses, vécues dans « l’esprit d’Assise » et j’ai pu apprécier la qualité de votre action : votre approche n’est pas abstraite, idéologique, sélectionnant des causes, mais concrète, attentive aux personnes, privilégiant la présence, l’écoute, la compréhension mutuelle, la connaissance des personnes, le dialogue. Vous nous rappelez que c’est la grandeur de l’homme de se sentir responsable et solidaire des autres dans des engagements concrets, qu’il en va de la responsabilité du chrétien de traduire sa foi en actes. Comme dit Saint Jean : « Si quelqu’un dit : j’aime Dieu, et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, ne peut aimer Dieu qu’il ne voit pas. » (1 Jn 4, 20)
Fêter un anniversaire (40 ans !), c’est souligner que votre engagement s’est inscrit dans la durée, dans la patience, la persévérance, la victoire sur le découragement et sur la lassitude. Vous avez tenu bon, là où d’autres, depuis longtemps, auraient baissé les bras. Alors, ce soir, dites-nous quel est votre secret ? D’où viennent votre force, votre dynamisme et, à certains jours, votre « espérance contre toute espérance » (cf. Rom. 4, 18)
Vous nous répondez par votre vie : vous vous êtes réunis en communautés comme les premiers chrétiens dans les Actes des Apôtres, vous priez, vous méditez l’Evangile, vous le communiquez à tous, vous vous nourrissez du pain de l’Eucharistie…En fait, l’eau vive de votre engagement, vous la puisez dans le Christ. C’est lui qui vous donne d’aimer, d’espérer et de vivre l’esprit des Béatitudes : « Heureux les pauvres de cœur car le Royaume des cieux est à eux…Heureux les doux : ils auront la terre en héritage…..Heureux les artisans de paix : ils seront appelés fils de Dieu. » (cf. Mt 5, 3, 12).
Frères et sœurs, s’il y a un lieu où nous est communiqué le dynamisme du Christ, c’est bien l’Eucharistie que nous fêtons aujourd’hui tout particulièrement dans cette fête du Corps et du Sang du Christ. Au cœur de la Prière eucharistique, alors que nous faisons mémoire du sacrifice du Seigneur, de l’offrande totale qu’il fait de lui-même à son Père pour le salut de tous les hommes, voici que c’est Lui, le Christ, qui nous appelle à entrer dans son sacrifice, à offrir, à notre tour, notre vie, à la donner, à la livrer par amour pour tous, à réaliser cette offrande spirituelle dont parle Saint Paul dans l’épître aux Romains : « Je vous exhorte donc, frères, au nom de la miséricorde de Dieu, à vous offrir vous-mêmes en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu : ce sera là votre culte spirituel. Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence, pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bien, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait. » (Rm 12, 1-2) En communiant au Christ, c’est Lui qui fait de nous les membres de son Corps pour que nous soyons dans le monde le signe de sa présence, les serviteurs de sa Parole, le visage de sa tendresse et de sa miséricorde. Loin de nous enfermer dans un cocon spirituel, l’Eucharistie nous propulse dans les engagements les plus concrets. Le Dimanche est un tremplin pour notre semaine. La parabole du Jugement dernier en Mt 25 reste le critère de la vérité et de la fécondité de notre vie eucharistique.
Chers amis de Sant’Egidio, continuez à nous le rappeler, par votre foi, vos engagements et le témoignage de toute votre vie. Amen !
|