Homélie

L’année liturgique touche à son terme et la liturgie nous exhorte à réfléchir sur les « choses dernières », sur le « jour brûlant comme une fournaise » qui va venir, ainsi que l’écrit le prophète Malachie. Le passage évangélique de saint Luc souligne aussi ce thème de la « fin des temps ». Mais le langage eschatologique que l’évangéliste emploie ne signifie pas, à la lettre, un écroulement de constructions ou la fin de la terre. Ce langage entend évoquer la fin de notre monde, autrement dit la fin d’une certaine manière de concevoir la vie, la fin de comportements régis par des idéaux et des priorités qui sont très loin de la justice et de l’Évangile. Dans cette perspective, chaque génération fait l’expérience d’être confrontée à la dimension eschatologique de la vie, au sens où elle doit se confronter avec la fin du monde dans lequel elle vit, pense, agit et planifie. C’est là le message du prophète Malachie : « Voici venir le jour du Seigneur, brûlant comme une fournaise. Tous les arrogants, tous ceux qui commettent l’impiété, seront de la paille » (3, 19), ils seront brûlés et il ne restera d’eux qu’une poignée de cendres. Tandis que, pour les justes, ce jour-là, « le soleil de justice se lèvera : il apportera la guérison dans son rayonnement ». Ces paroles résonnent avec gravité pour notre temps aussi et pour l’œuvre de chacun de nous : il y a un jugement qui approche. Voilà la substance du long discours sur la « fin des temps ». Dès aujourd’hui, nous vivons cette heure où le « soleil de justice » soit nous brûle comme de la paille, soit fait de nous les artisans d’un jour nouveau. Il ne s’agit pas de nous laisser aller à des agitations apocalyptiques ou à des mouvements frénétiques et désordonnés, dans le sillage de l’un ou l’autre millénarisme.
Il est nécessaire de saisir la gravité du temps présent et de revigorer notre témoignage évangélique. Le texte de l’Évangile (Lc 21, 5-19) nous rappelle la radicalité d’un engagement évangélique pour aujourd’hui. C’est ainsi que Jésus a fait avec ses disciples. Il a saisi l’occasion de la beauté majestueuse du temple de Jérusalem qui suscitait chez les disciples orgueil et assurance. Dans ce temple resplendissant de marbres et d’ornements, les disciples voyaient une sorte de garantie pour leur avenir et celui du peuple d’Israël. Mais Jésus leur dit avec gravité : « Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre » (v. 6). Déconcertés par cette affirmation qui mine leur assurance, les disciples demandent quand tout cela arrivera. Ils pensaient peut-être que, même si cela devait arriver, il s’agissait de temps très éloignés. Jésus ne répond pas à la question des disciples, mais il leur dit de prendre garde pour ne pas se laisser égarer et rester de fidèles témoins de l’Évangile.
Nos temps sont assurément dramatiques : il suffit de penser à ce qui se passe entre les grandes nations ou à la multiplication des guerres ou encore au danger du nucléaire qui refait régulièrement surface (et on dirait que personne n’y prend désormais plus aucune garde). Ces faits ne ressemblent-ils pas (avec d’autres que nous pourrions ajouter) à ces « signes » dont parle Jésus dans l’Évangile ? Écoutons encore l’Évangile : « On se dressera nation contre nation, royaume contre royaume. Il y aura de grands tremblements de terre, et ça et là des épidémies de peste et de famine; des faits terrifiants surviendront, et de grands signes dans le ciel » (v. 10-11). Ces paroles ne sont pas projetées dans un avenir lointain. Elles décrivent l’aujourd’hui de notre monde. Il est peut-être plus difficile de trouver de nos jours des endroits où les chrétiens sont persécutés. « On portera la main sur vous et on vous persécutera » (v. 12) dit Jésus. Certes, les lieux où les chrétiens sont persécutés sont moins nombreux sur la terre, mais il y en a, et, quoi qu’il en soit, les persécutés ne manquent pas, même s’ils ne sont pas chrétiens. Nous pourrions lire dans ce sens les tristes épisodes d’intolérance et de racisme qui ne cessent de se multiplier dans nos villes. Face à tout cela, Jésus affirme : « Ce sera pour vous l’occasion de rendre témoignage » (v. 13). Lors de ces bouleversements, l’Évangile demande aux disciples un témoignage courageux et entier. Ce n’est pas l’heure des atermoiements, des ajustements, des compromissions ou du sauve-qui-peut. Nous avons besoin d’un Évangile qui resplendisse clairement sur le visage des chrétiens. C’est dans ce sens que nous sommes en train de vivre les « derniers temps », ces heures où soit on brûle comme de la paille, soit on ressuscite pour un jour nouveau.