Salutations d'Andrea Riccardi au pape François à l'occasion de sa visite à la Communauté de Sant'Egidio

16 Juin 2014

Andrea RiccardiPape François

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VISITE DU PAPE FRANÇOIS À LA COMMUNAUTÉ DE SANT’EGIDIO

Rome 15 juin 2014

Salutations du professeur Andrea Riccardi, fondateur de la Communauté de Sant’Egidio

 

Saint Père,

Nous sommes heureux de vous accueillir ici. Merci de votre aimable visite à la Communauté. Nous sommes nés à Rome dans le monde de 1968 : époque du don du concile, d’élan vital de la jeunesse, mais aussi d’idéologie dominante. C’est dans ce contexte historique que nous avons rencontré l’Évangile, qui nous a conduits à être Communauté et qui nous a guidés vers les périphéries de Rome. Nous étions animés du rêve d’être Église de tous, mais particulièrement des pauvres. Ce rêve est encore le nôtre aujourd’hui.

La « périphérie » reste notre orientation depuis quarante-cinq ans : à Rome, puis dans le monde, comme dans l’Afrique que nous aimons tant, qui est au cœur de Sant’Egidio et qui est son cœur. Nous rêvons de changer Rome et le monde. Une illusion ? Ce ne le fut pas lorsque nous comprîmes, grâce à la Bible, que : « le point d’Archimède à partir duquel je peux mouvoir le monde, c’est la transformation de moi-même », comme le dit Martin Buber.

Se changer soi-même... La Parole de Dieu, écoutée ensemble dans les prières communautaires de chaque jour et dans les lieux où nous sommes, a enseigné aux pécheurs hautains une vie plus humble sur la voie de tous. Nous sommes des gens ordinaires, mais pas pour autant condamnés à la résignation. La Parole grandit en nous lorsque nous la lisons. Elle allume l’espérance : nous n’avons pas renoncé au rêve de changer le monde, et ce rêve ne s’est pas pétrifié dans l’idéologie ou évanoui dans l’activisme.

Celui qui est familier des pauvres veut un monde différent. Les pauvres sont les amis qui nous ont appris à ne plus vivre pour nous-mêmes. Nous les écouterons aujourd’hui. Nous sommes cette famille que l’on voit, dans laquelle ceux qui servent se confondent avec ceux qui sont servis : peuple d’humbles et de pauvres, pour reprendre le prophète Sophonie.

C’est au Trastevere que nous avons, pour ainsi dire, notre centre : lieu de prière chaque soir et d’accueil, maison hospitalière pour les étrangers et les personnes sans domicile fixe, table pour ceux qui ont faim non loin de l’autel de l’Eucharistie, refuge et maison de rencontre pour la paix. Or le centre, qui est Jésus, vit dans toute périphérie, là où on lit l’Évangile ou où on le vit : ainsi les périphéries deviennent-elles centre. Dans les périphéries de Rome, aujourd’hui anonymes et dépaysées. Avec Jésus, les petits, délivrés de l’insignifiance, font l’histoire.

Dans certaines régions du monde, nous avons rencontré de grandes pauvretés, en particulier la guerre, mère de toutes les pauvretés. Nous avons compris que les chrétiens possèdent la douceur d’une force de paix, parfois ensevelie par peur. Je me souviens de la paix au Mozambique, négociée ici, après la mort d’un million de personnes. Le miracle de la paix est possible pour celui qui a la foi. Nous disciples, nous ne sommes pas toujours capables de l’accomplir, en raison de notre peu de foi dans la prière et de notre peu d’humilité dans le dialogue.

Pour créer la paix et la coexistence, nous avons la force du dialogue : entre les ennemis, mais surtout avec les religions, la pensée humaniste, les fragments de la vie. C’est le rêve conciliaire de Paul VI dans l’encyclique Ecclesiam suam :

« L’Église se fait parole ; l’Église se fait message ; l’Église se fait conversation ».

Jamais on ne s’égare sur cette voie, au contraire, on se retrouve au milieu de l’histoire.

Avec les années, se sont unis à Sant’Egidio de nombreux frères et sœurs américains du Nord et du Sud, africains, asiatiques, ainsi qu’européens. Pensons et prions également pour eux aujourd’hui ! Surtout pour ceux qui vivent des situations difficiles comme au Pakistan et au Nigeria.

Au contact du grand monde, nous avons ressenti la fatigue de notre Europe vieillie, repliée sur elle-même, tout entière économie qui devient avarice. C’est la fatigue de Rome, vieillie, un peu malade, avec peu d’espérance. Rome est une ville qui n’est pas sans idée d’universalité. Universel veut dire vivre pour et avec les autres. Le repli sur soi étouffe. La proposition évangélique résonne comme une libération de la décadence : ne pas vivre pour soi-même, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour nous, donc pour les autres.

Il y a dans le monde une immense douleur : trop d’injustices, de vies piétinées ! Sa prédication libère des énergies de bien, car il faut sortir avec plus de générosité, de créativité, d’amour. Saint Père, il est beau d’être chrétien. En dépit des faiblesses et des difficultés de la vie, nous sommes contents et reconnaissants. Envers le Seigneur, qui a voulu que nous soyons ses disciples ; envers l’Église qui est pour nous une mère, envers nos évêques, le pape Jean-Paul II qui a voulu que nous fussions dans cette basilique et qui nous a demandé de continuer l’esprit d’Assise, le pape Benoît XVI qui nous a rendu visite avec affection. Nous vous sommes également très reconnaissants, Saint Père, car votre présence et votre parole ont révélé que le christianisme ne fait que commencer : je vous dis que, tout en restant à notre place, nous ne voulons pas vous laisser seul, mais recommencer et marcher dans l’ouverture au monde évangélique que vous indiquez.

Que Marie, Mère de la Miséricorde et des pauvres, dont nous vous remettrons l’icône, vous protège.