Vingt années se sont écoulées depuis le génocide au Rwanda. Le 6 avril 1994, l’avion du président Habyarimana était abattu par des extrémistes hutus. Ce fut le début du massacre qui s’est poursuivi jusqu’à la mi-juillet de la même année. Cent jours terribles : plus d’un million de victimes, en large partie tutsies, sur une population légèrement supérieure à sept millions d’habitants. Ce fut le génocide des tutsis. La volonté de les éradiquer et de les détruire.
Ces jours-là, Radio Mille Collines et d’autres stations privées assénaient à la population des messages de mort et des instructions aux Interahamwe, les colonnes meurtrières. Il fallait tuer ! Faire vite ! Les troupes rwandaises appuyèrent ce massacre systématique. Ce fut une ivresse collective de haine meurtrière.
Les hutus, qui vivaient d’ordinaire en bons termes avec les familles tutsies, se jetèrent brusquement contre leurs voisins d’ethnie différente pour les tuer. Les enfants hutus et tutsis avaient joué ensemble jusqu’à ce jour. Puis un abîme s’ouvrit. Des personnes normales se transformèrent en meurtriers, aiguillonnés par une propagande folle. Les hutus partageaient cette conviction qu’il fallait éliminer les tutsis pour ne pas être éliminés par eux. C’était une conviction insensée, qui a coûté la vie à des centaines de milliers de personnes et qui s’est soldée par cent jours de terreur.
Une foi démentie par les faits. Ce génocide est survenu au cœur de l’Afrique, dans un pays très catholique (80 % des habitants). Pendant ce temps, à Rome, se tenait le synode des évêques africains sur l’évangélisation : ce génocide a constitué une véritable dénégation du catholicisme dans le pays. Jean-Paul II dénonca, implora, mais en vain. Hutus et tutsis sont catholiques. Et ils ne diffèrent en rien, pas même dans la langue. Un hutu (meurtrier) a raconté : « Un jour, nous avons débusqué un groupe de tutsis au milieu des papyrus. Ils attendaient les coups de machette en priant... on se moquait d’eux et de la bonté du Seigneur, on plaisantait sur le paradis qui les attendait ».
J’ai visité le Kigali Memorial Centre : j’ai vu les dépouilles des tués ainsi que les images de quantité d’horreurs. On peut lire les noms des enfants tutsis assassinés, avec des précisions sur leurs jeux préférés et leurs goûts. 400 000 orphelins ont survécu. Des familles entières ont été détruites. La victoire de Kagame a arrêté le génocide et engagé le pays dans la voie vers la stabilité. Les graves blessures sont encore palpables.
Le 6 avril n’est pas seulement un jour de commémoration officiel, mais un profond deuil national, derrière lequel on perçoit cette interrogation : cela peut-il se produire de nouveau ? L’histoire est parfois pleine de surprises amères. Il faut les prévenir en construisant une véritable société du vivre ensemble. Pas seulement au Rwanda, mais partout. |