La Communauté de Sant’Egidio dédiera la fête de l’Assomption au drame que vit la population syrienne du fait d’une guerre qui semble ne pas avoir de fin.
En particulier, à Santa Maria in Trastevere, à 10h30, au cours de la liturgie du 15-Août, il sera fait mémoire d’Alep, aujourd’hui à bout de force. Sant’Egidio a lancé il y a quelques jours un appel renouvelé et fort pour une trêve capable d’offrir une voie de salut aux habitants de cette ville symbole de la cohabitation entre les cultures et les religions, victime d’un siège qui n’épargne personne, à commencer par les plus faibles, par les malades et les enfants.
Andrea Riccardi : Sauvons Alep, la Sarajevo du 21e siècle
Ne nous lassons pas de crier pour sauver Alep, la Sarajevo du 21e siècle
Dans les colonnes du journal Avvenire du 14 août, Andrea Riccardi relance un vibrant appel pour que la ville d’Alep soit préservée de la destruction.
Dans les discussions en Europe, il est question de sécurité et d’immigrés. Ou d’économie. De l’autre côté de la Méditerranée, la Syrie est à feu et à sang depuis cinq ans, et sa ville la plus emblématique, Alep, se meurt, victime d’un siège impitoyable. Un certain nombre d’entre nous, à partir de 2014, ont exposé cette question à l’opinion publique internationale avec l'appel « SaveAleppo », qui a recueilli de nombreuses adhésions (voir la liste des signataires) : sauver Alep, par une trêve, en en faisant une « ville ouverte ». Mais quel est le poids de l’opinion publique ? Et surtout, quel est le poids des lamentations et des cris de ceux qui souffrent, des enfants, des personnes malades et fragiles ? Les voix faibles de ceux qui n’ont ni nourriture, ni eau, ni médicaments, ni médecins. Les voix de gens qui ont su s’adapter à tout : rouvrir les anciens puits, cultiver la moindre parcelle de terre, vivre entre les ruines, attendre. Deux millions d’habitants et plus. Rien que depuis le 1er août, on recense 106 morts. Depuis le début du siège, on en compte officiellement 28 894 (en réalité bien davantage).
Les images d’Alep, transmises au monde, montrent une ville fantôme, aux rues pleines de décombres et de squelettes de bâtiments. On a vu cela partout et l’on n’a rien fait. Alep est la Sarajevo du 21e siècle. Sarajevo a été assiégée quatre années durant : d’avril 1992 à février 1996. Il y eut 12 000 morts. On a vu à l’époque la cruauté des combattants conjuguée à l’impuissance de l’ONU et de la communauté internationale. Alep est divisée depuis 2012 : l’ouest (où habitent les chrétiens) est contrôlé par le régime d’Assad, l’est, par la rébellion. Aujourd’hui les combattants d’al-Nosra se sont détachés d’al-Qaeda pour former un front avec les salafistes et avec d’autres groupes bénéficiant de l’appui de l’Arabie Saoudite, du Qatar et de la Turquie. La partie ouest a été reliée par une voie à la Syrie gouvernementale. Elle retourne parfois à son isolement lorsque de terribles missiles tombent sur les maisons, détruisant tout.
L’ancien souk est un amas de ruines. De même la splendide cathédrale arménienne. Les hélicoptères des troupes gouvernementales, pour leur part, procèdent à des bombardements terribles sur la partie est, progressivement isolée de la récente offensive des Syriens, des Iraniens et du Hezbollah, soutenue par l’aviation russe. Puis il y a eu la reprise par les rebelles. Ce sont les avancées et les revers de deux sièges simultanés qui tiennent en otage, depuis 2012, une communauté qui cohabitait depuis toujours : musulmans de diverses traditions, chrétiens (arméniens, syriaques, orthodoxes, catholiques...). Une danse macabre que mènent Syriens, islamistes, puissances régionales, grandes puissances, et qui se poursuit sur la tête de la ville-symbole du vivre ensemble. Oui, c’est cela qu’était Alep. Jusqu’à il y a quelques décennies, il y avait aussi des juifs : Miro Silvera en parle dans son livre Prigioniero di Aleppo [Prisonnier d’Alep], roman évoquant le souvenir de la cohabitation perdue. Il y a l’Hôtel Baron, de propriété arménienne, où descendirent Sir Lawrence et Agatha Christie. A Alep, on a toujours fait du commerce. Avant la tragédie, j’ai vu à l’aéroport des femmes qui venaient d’Arménie pour faire leurs achats. Il y avait des enseignes écrites dans différentes langues, même en russe. Alep était surtout une capitale d’histoire et de culture, avec son magnifique musée conservant les statues millénaires des Baal. Surtout, on y vivait dans la tradition du respect des différences. C’est bien pour cela que les combattants n’ont pas sauvé la ville par une trêve : elle devait mourir. Alep était, par son art du vivre ensemble, une réponse vivante au totalitarisme islamiste. Et elle était bien trop débordante de vie pour le climat inquisitorial de la dictature. La préserver, c’était créer une île de paix dans l’immensité de la guerre.
Je me souviens des objections lorsque j’ai lancé l’appel « SaveAleppo » : « Pourquoi Alep et pas une autre ville syrienne ? ». Mais Alep veut dire paix et cohabitation : l’avenir souhaitable pour la Syrie. Aujourd’hui, elle est quasiment détruite. Chaque protagoniste a sa stratégie. Nous en avons discuté tant de fois. Alors que l’ONU est impuissante, nous voyons la connivence de tous (même des ennemis) dans l’assassinat de la ville. Insensibles aux larmes des Alépins. Ces protagonistes nous disent dans les faits : la solidarité e la volonté de sauver Alep comptent pour rien. Alors, ne nous étonnons pas de voir le nihilisme grandir parmi la population et chez les jeunes. N’avait-on pas proclamé dans les années 1990 « Plus jamais Sarajevo » ? Alep est la nouvelle Sarajevo. Sans doute pire encore, si tant est que l’on puisse comparer les drames. Pire, car l’on n’a rien appris de l’histoire. Pourtant, nous ne nous lasserons pas de crier : « Save Aleppo! ». Sauvez Alep, sauvons-la.