Le défi à relever. Migrations : comment conjuguer humanité et légalité.

article de Marco Impagliazzo dans l'Avvenire

Le débat de cet été, au sujet des ONG qui sauvent la vie de réfugiés en mer Méditerranée, a parfois été enflammé et riche de malentendus. Il ne s’agit pas ici d’ouvrir un nouveau chapitre dans cette discussion, mais d’essayer – à la lumière des quatre verbes rappelés par le pape François (accueillir, protéger, promouvoir et intégrer) dans son Message pour la Journée Mondiale du Migrant et du Réfugié 2018 – d’indiquer quelques solutions à une crise, la crise migratoire, à laquelle notre pays est affronté de façon significative.

Face aux souffrances et aux aspirations à un avenir meilleur de tant de migrants, ainsi qu’aux demandes de l’opinion publique italienne, des réponses sont nécessaires, et non de nouvelles polémiques. Les conditions inhumaines, loin de tout respect des droits de l’homme, dans lesquelles vivent des milliers de migrants dans des « camps de transit » en Lybie est l’un des critères qui préoccupe le plus les organisations, les associations et les personnes qui ont fait du sauvetage et de l’accueil aux migrants un objectif de leur action.

Les témoignages à ce sujet, de ceux qui ont réussi à partir pour l’Europe, comme des journalistes ou des personnels des agences internationales, sont sans ambiguïté. Avec la faillite de l’Etat, dans laquelle se trouve la Lybie aujourd'hui, un pays qui n’a par ailleurs jamais signé la convention de Genève de 1951 sur le statut des réfugiés, la vie est insoutenable, en particulier pour les catégories de personnes les plus vulnérables. A cela s’ajoute la question dramatique de l’exploitation de l’immigration par des organisations criminelles qui en ont fait l’un des business les plus rémunérateurs, contraignant les personnes à vivre dans des conditions dégradantes, durant leur voyage et leur séjour en Lybie.

Il faut absolument trouver une voie pour stabiliser politiquement et militairement la Lybie, afin que des organisations comme le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) et l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) puissent enfin entrer dans le pays et accomplir leur travail de protection des migrants. Il est toujours plus urgent et nécessaire que soient créées les conditions favorables à la présence de ces organismes sur le sol libyen.

Mais la question la plus importante concerne l’illégalité massive qui entoure le phénomène migratoire. La réponse la plus simple est qu’il n’existe pas, à aujourd’hui, de voies légales pour l’immigration en Europe issue des pays pauvres, à l’exception des quelques catégories ou quelques périodes de l’année. L’Italie, par exemple, a des quotas d’entrées annuels qui correspondent principalement à la conversion de permis de séjour d’étudiants et de visas pour travailleurs saisonniers. Le quota réservé aux entrants « non saisonniers » est infime. En 2017, le décret de loi prévoit 30.850 entrées, dont la très grande majorité précisément pour conversion de permis de séjour étudiants en permis de travail et de visas pour travailleurs saisonniers. 1.000 entrées seulement sont destinées à des travailleurs déjà formés, tandis que 2.400 sont destinées à des travailleurs indépendants, et concernent en réalité des entrepreneurs prêts à investir au moins un demi-million d’euros, ce qui représente un montant très élevé.

Depuis 2011, les quotas légaux annuels n’offrent plus la possibilité d’entrer régulièrement pour des travailleurs salariés, si ce n’est dans une mesure dérisoire. Le monde du travail en Italie, dans toutes ses composantes, y compris les familles italiennes qui cherchent des auxiliaires de vie ou employés de maison, a des besoins supérieurs. L’année dernière, 181.000 personnes sont arrivées en Italie par la voie de la Méditerranée centrale, donc sans aucun visa ni titre de séjour. Il y a là une disproportion importante par rapport à la voie légale.

Pour éviter l’illégalité, il convient de prévoir des quotas d’entrées légaux beaucoup plus importants que ceux que nous avons actuellement, qui tiennent compte des exigences du monde du travail et qui concernent principalement les pays d’où proviennent les personnes qui sont aujourd'hui « détenues » en Lybie, dans l’attente d’entreprendre un voyage entre les mains des trafiquants. Il est nécessaire de négocier des accords directs avec les pays d’origine, leur demandant simultanément de limiter les sorties de leurs citoyens. Négocier avec ces Etats n’est pas simple, mais c’est un effort à accomplir avec ténacité : au sud de la Lybie, il est réellement possible de contenir les flux en échange de véritables politiques de co-développement.

Pour ces raisons, il faut renforcer les politiques de coopération avec les pays tiers. Sur ce plan, depuis 2012, l’Italie a commencé à s’engager davantage, en augmentant progressivement son aide publique au développement et en la réorientant vers les régions d’origine des flux. Il s’agit de consolider ces progrès et d’engager une croissance continue de l’aide italienne et européenne, ajoutant à ces aides des investissements significatifs : un message eurafricain d’espérance pour les jeunes générations du sud. La diversité des personnes arrivées en Italie nous enseigne que la complexité des motifs pour lesquelles elles sont parties (asile politique, réfugiés climatiques, migrants économiques, etc…) se retrouve et se superpose avec l’histoire de ces personnes.

Un sénégalais, per exemple, demande à venir en Italie car l’avancée du désert ne lui permet plus de cultiver sa terre. Du reste, la délivrance de permis de séjour pour raisons humanitaires, parfois aussi avec des décrets pour protection temporaire, caractéristique de l’expérience italienne, a représenté l’une des réponses les plus clairvoyantes, y compris sous l’angle de la sécurité. La question de la relocalisation – comme l’a suggéré récemment la chancelière Merkel – c'est-à-dire la répartition dans les différents pays européens, selon des quotas, des réfugiés originaires de Syrie et d’Irak transitant par le Liban et d’autres Etats du bassin méditerranéen, devrait être revue à la hausse. A aujourd'hui, on parle de 22.000 entrées. On pourrait très bien arriver au chiffre de 40.000, comme l’évoquait Angela Merkel, c'est-à-dire aller au-devant de personnes qui vivent dans des situations de grande souffrance et en même temps, mieux supporter la « charge » entre pays européens. J’ajoute que cette opération de relocalisation pourrait concerner aussi d’autres pays comme la Lybie, le Soudan et l’Ethiopie, où sont présents un grand nombre de réfugiés.

Il y a encore la grande question des regroupements familiaux. Beaucoup de jeunes qui arrivent sur nos côtes à bord de canots demandent à rejoindre leurs parents qui se trouvent déjà en Europe. Jusqu’à présent, il n’a pas été possible d’obtenir ces regroupements, à l’exception du cas d’époux, d’enfants mineurs ou de parents âgés. Des catégories trop restreintes pour des cultures dans lesquelles la famille est un concept beaucoup plus large. Les expériences de regroupement familial sont les plus heureuses car les familles qui accueillent sont en général intégrées dans le pays européen où elles vivent. L’Italie, par un simple décret, pourrait élargir cette catégorie et éviter beaucoup d’illégalité en favorisant l’intégration.

Il y a enfin le système du parrainage, en vigueur surtout dans les pays anglo-saxons ou en Amérique du Nord : système qui était prévu pendant un temps dans notre droit puis fut supprimé. Il s’agit d’une solution très efficace pour créer des voies légales et pour ne pas obérer les comptes de l’Etat. Des entrepreneurs, familles, artisans, paroisses, associations ou toute autre organisation prête à parrainer la présence d’étrangers, à sa charge et pour des motifs légaux et valides,  pourrait le faire à ses propres frais et sous sa responsabilité. Avec cet instrument, on pourrait permettre l’entrée des membres d’une famille qui ne rentrent pas dans les critères du regroupement familial. Et puis il y a la voie des couloirs humanitaires qui prévoient la délivrance de visas humanitaires, sur un territoire limité, à des personnes en état de vulnérabilité, comme cela a été mis en place en Italie et en France pour les réfugiés de la guerre en Syrie et pour ceux de la Corne de l’Afrique. Les couloirs humanitaires sont eux aussi entièrement parrainés par des personnes privées ou des associations, comme par exemple la Conférence épiscopale italienne, à travers la Caritas et Migrantes, qui utilisent les fonds du « 8 pour 1000 », la Communauté de Sant'Egidio et la Fédération des Eglises protestantes.

Nous nous trouvons face à un phénomène historique, la mondialisation a provoqué de grands déplacements de population dans toutes les régions du monde. Ces dernières années, compte tenu de sa position géographique et de son appartenance à un continent qui s’est fixé comme principes le droit, la paix et la solidarité, l’Italie a connu un afflux massif de personnes qui cherchent un avenir meilleur, pour diverses raisons. Nous avons été un pays protagoniste – en tant que migrants – de la première grande vague migratoire de l’époque moderne, celle de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.

Aujourd’hui nous vivons la deuxième grande vague migratoire, entamée dans les années 1970, avec un autre rôle : celui d’un pays qui accueille. Les temps changent, l’Italie s’est développée au point de devenir l’une des 8 plus grandes puissances industrielles au monde. Elle a une grande responsabilité au niveau mondial. Parmi ses responsabilités, il y a la gestion d’un flux migratoire important mais pas exceptionnel. Nous l’assumons avec un soutien économique conséquent de l’Europe. Ce qui nous manque, ces derniers temps, sont le soutien politique et la solidarité des pays amis. Faire appel à l’Europe est donc très nécessaire car nous en représentons la frontière méridionale. Mais nous avons nous aussi notre rôle à jouer pour transformer l’illégalité en légalité, nous l’avons démontré : nous pouvons être un pays très généreux et humain. Voici quelques propositions qui peuvent aider à conjuguer – comme l’a souhaité à plusieurs reprises Marco Tarquinio – l’humanité et la légalité, car sans humanité, il n’y a pas de légalité respectable.

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