Seule la solidarité peut sauver Rome. Éditorial de Marco Impagliazzo dans Avvenire

Les maux, la crise et le gémissement de la ville, son devoir

Le pape François a récemment déclaré, en parlant de Rome : « Laissons-nous mener jusqu’au cœur de la ville pour entendre son cri, son gémissement ». Il y a une lamentation qui monte des Sept Collines et de leur immense périphérie ; il y a une blessure ouverte dans cet unique corps, fait de monuments, de parcs, de rues, de maisons, de la vie concrète de millions d’hommes, de femmes, d’enfants. Ne pensez pas tant aux carences ou aux erreurs de telle ou telle administration mais plutôt au climat qu’on respire, qui est certes le produit de choix venus du haut, mais surtout la conséquence des humeurs et des comportements venus du bas. La ville est un livre difficile à lire. Or il est certain que le corps social est éprouvé : les cadres traditionnels du vivre ensemble se sont quasiment dissous ; des hommes et des femmes dépaysés n’ont plus de points de référence ; l’humeur agressive a remplacé le caractère affable d’autrefois. La fatigue, l’épuisement, le découragement général semblent palpables. On devine la résignation ou la colère, sur un horizon étroitement individuel. Chacun cherche sa vie entre les mille destinations possibles, mais ne rêve pas ou ne lutte pas pour un destin commun. C’est là l’un des grands maux de Rome.

Quand une ville perd en épaisseur, quand son système de réseaux, de connexions, de solidarité civile et d’identité urbaine entre en crise, la peur et l’isolement prévalent. Une ville de cette sorte ne sera pas en mesure d’offrir des chances ni la sérénité nécessaire pour inclure, intégrer. C’est la raison pour laquelle on a assisté à des phénomènes de refus, de violence et aussi de racisme, voire aux problèmes de petits groupes qui se sont mis en quête de boucs émissaires parmi les derniers de la société, tels que les Roms, comme si un petit nombre de personnes « différentes » pouvaient mettre en crise une ville entière. Ici, on touche du doigt la fin du sens intérieur, de la résistance morale de la ville... Il convient dès lors de procéder à une opération de raccommodage et de réparation. Il faut sortir de nouveau vers la ville vue dans son ensemble. Il est aussi nécessaire de repartir des lieux de plus grande souffrance, comme le vaste monde des personnes âgées isolées ou seules, car c’est de cette perspective que l’on comprend le mieux les changements, les fractures. Partir des derniers signifie partir des capteurs les plus sensibles d’une ville. C’est le chemin de l’Église à Rome dans ses diverses composantes. « Habiter la ville avec le cœur » est le thème choisi par le diocèse de Rome pour l’année pastorale 2019-2020, pour lire le territoire et écouter ses habitants et les différents cadres de vie, avec une attention particulière aux pauvres. C’est un programme qui entend répondre à la sollicitation du pape qui s’est demandé ce que Rome peut et doit être pour rester fidèle à son héritage et à sa mission dans le monde. Parlant au Campidoglio en mars dernier, il a déclaré : « Au long de ses presque 2 800 ans d’histoire, Rome a su accueillir et intégrer des personnes provenant de toutes les régions du monde. Cette ville est devenue un pôle d’attraction et une charnière. Charnière entre le nord continental et le monde méditerranéen, entre les civilisations latine et germanique, entre les prérogatives et les puissances réservées aux pouvoirs civils et celles propres au pouvoir spirituel ». Il est important que « l’on ne perde pas la sagesse qui se manifeste dans la capacité à donner le sentiment que chacun participe à plein titre à un destin commun ». La priorité est de retrouver les raisons d’un destin commun des citoyens romains et non de poursuivre la route du « sauve qui peut ». En 1998, Jean-Paul II disait avec poésie : « Rome, ville qui ne craint pas le temps. Rome, carrefour de paix et de civilisation, Rome, dont le nom lu à l’envers donne “Amor”, amour ». Oui, la ville ne repart pas si elle ne va pas puiser aux nombreuses énergies et ressources de bien et de partage qu’elle possède. Il convient de parier sur la solidarité, entendue comme attitude humaine, culture urbaine, nouveau sens civique, reconstruction d’un tissu conjonctif déchiré par une vie par à-coups. Rome est un destin commun : ville qui se recompose autour des plus fragiles, qui ne laisse personne sur le côté, qui rêve de quelque chose de grand pour tous. C’est dans cette Rome, message d’humanité et de grandeur, que nous voudrions nous reconnaître, afin que son héritage et sa mission ne se perdent pas dans le découragement, l’affrontement et la résignation.

[Marco Impagliazzo]