Le blasphémateur meurtrier, les justes croyants, l'humble graine de paix. Une réflexion d'Andrea Riccardi sur l'Avvenire

Le triple assassinat de Notre-Dame de l’Assomption, à Nice, est une folie cruelle, un acte ignoble, un blasphème. Quiconque se rend à l’église est un doux qui se présente devant le Seigneur et cherche protection, dans un lieu dédié à la Vierge Marie.

C’était le cas de ces deux femmes (dont l’une âgée de soixante-dix ans) et de cet homme. Lui, sacristain de cette basilique du XIXe siècle, bâtie sur le modèle de Notre-Dame de Paris. L’assassin n’a pas reconnu en eux des êtres humains, mais aveuglé par la haine, il en a fait le symbole de personnes impies, ennemies de l’islam, car chrétiens. Il a crié « Dieu est grand », louange réduite à un slogan par les terroristes islamistes, un blasphème taché de sang, y compris pour les musulmans. L’Eglise avait-elle fait quelque chose contre lui ? Certainement pas. Mais il devait frapper les chrétiens en tant que symbole de l’Europe ennemie. Il était pourtant arrivé récemment en Europe. Il la haïssait. Il se haït lui-même et ne sait pas qui il doit être. Ainsi, d’un geste fou, il s’est fait « combattant » contre des sans défense, espérant sortir de l’anonymat et recevoir l’auréole des héros, et peut-être des martyrs.

Mais les martyrs sont ses victimes. Auparavant, d’autres en France avaient tenté de jouer les « héros », en essayant de tuer de façon ignoble, mais ils ont été arrêtés. Ils sont en guerre contre la France et l’Europe, qui les ont accueillis. En 2016, ils tuèrent à Rouen, sur l’autel, le père Jacques Hamel, 85 ans, retenu dans son église avec quelques fidèles. Aucune pitié.

Les trois victimes de Nice sont les enfants d’un peuple humble qui, dans le silence et avec ténacité, met sa confiance en Dieu : il se rend à l’église, prie pour soi et pour tous. Il ne participe pas seulement à la messe, mais passe un moment à l’église, cherchant dans le silence la présence du Dieu de la paix et de l’amour. C’est là la source de la foi qui accompagne au long du jour les humbles visiteurs de la maison du Seigneur. La prière d’une poignée de justes soutient et sauve le monde, enseigne un Saint d’Orient. Il n’est pas nécessaire de déranger les ascètes. Les justes sont ces trois personnes tuées à l’église qui, en y déposant leur prière, soutiennent le monde. Pendant l’incendie de Notre-Dame de Paris, en 2018, beaucoup avaient un doute : l’incendie de la cathédrale n’était-il pas le signe d’une Eglise qui s’éteint ? Aujourd'hui, l’Eglise peut être touchée par des problèmes, ressentir de la fatigue. Mais il y a un peuple humble, qui dans les replis du quotidien, met sa confiance dans le Seigneur.

Les trois morts de Nice ne sont pas un fait du passé, mais des prémices de l’avenir. C’est de la fidélité à la prière des justes, et pas tant des projets, que naît l’Eglise de demain. Les réactions de l’Eglise de France ont été empreintes de douleur et d’apaisement : pousser les hauts cris ne sert qu’à attiser les fanatismes.

Humblement, l’Eglise pourra aider l’Europe à trouver son chemin en un temps rendu difficile par la pandémie et la cohabitation complexe entre gens différents. Depuis un moment déjà, le pape et l’Eglise expliquent qu’il n’est pas possible de se fermer aux réfugiés et qu’il faut réaliser des voies légales, les seules à offrir la sécurité. Au contraire, on a trop souvent fermé la porte et on a laissé prospérer l’illégalité ; on a même « investi » politiquement sur elle, tandis que beaucoup mouraient dans la Méditerranée. Et puis, il y a les périphéries anonymes sans communautés, là où l’école et les professeurs sont la seule présence éducative (et à quel prix !).

Il faut investir dans la reconstruction du tissu humain dans les périphéries, afin qu’il soit en mesure d’intégrer. Rien ne justifie la violence, mais il faut lutter contre les mauvais maîtres, les fomentateurs de haine, en offrant des alternatives pour les jeunes et les désespérés. Les chrétiens européens, en difficulté comme tous les autres en raison de la pandémie, touchés par différents problèmes, frappés par des actes de violence, doivent retrouver l’audace évangélique.

Nice s’adresse à la France, mais aussi à différents pays européens. Elle regarde vers la Méditerranée, est baignée des contradictions de cette mer : les graves tensions politiques, particulièrement sur la rive sud, les migrations depuis celles des pieds noirs, par le passé, à celles des nord-africains, aujourd'hui. Le sang versé par trois chrétiens, humbles et sans défense, est une graine de paix. Elle nous fait espérer un réveil des consciences pour une société plus fraternelle, tandis que la France entre en confinement. Elle nous fait croire que de nouvelles relations sont possibles dans ce bassin méditerranéen tourmenté.

Editorial d'Andrea Riccardi paru dans le quotidien Avvenire du 30 octobre 2020

[Traduction de la rédaction]