Le Congo, l'Afrique et nos responsabilités. Entretien avec Andrea Riccardi

Entretien paru sur Formiche.net

Le fondateur de la Communauté de Sant'Egidio se souvient avec émotion de l'ambassadeur Attanasio tué au Congo, avec le carabinier Iacovacci, "un exemple de la diplomatie italienne dans le monde". Mais cette Afrique n'est pas aussi éloignée de nous, et le monde civilisé a ses défauts. Ainsi l'Europe doit changer de paradigme.

Un flot de condoléances a accompagné la nouvelle de l'assassinat barbare, au Congo, de l'ambassadeur italien Luca Attanasio, 43 ans, et du carabinier qui l’escortait, Vittorio Iacovacci, 30 ans. L'assaut du convoi de l'ONU par un groupe de miliciens près de Goma a rappelé à l'opinion publique qu'il y a une Italie qui travaille en Afrique et pour l'Afrique. Loin des feux de l'actualité et un peu oubliée des palais romains.

"Au-delà des réactions justes et compréhensibles de l'émotion, j'ai constaté en Italie une méconnaissance de l'Afrique - dit Andrea Riccardi, fondateur de la Communauté de Sant'Egidio, à Formiche.net. Depuis qu'il a posé la première pierre de la communauté en 1968, Riccardi a fait de l'Afrique une véritable mission. A tel point qu'aujourd'hui, sur le "continent noir", Sant'Egidio est bien plus qu'une communauté chrétienne, c'est une machine de diplomatie de la paix. Du Mozambique au Soudan, du Nigeria au Congo, jusqu'à la lutte contre le Sida et la défense des enfants avec les programmes DREAM et Bravo !, Sant’Egidio laisse sa trace depuis quarante ans. C'est aussi la raison pour laquelle l'émotion est double face à l'attaque lâche de lundi.

"Attanasio connaissait bien l'Afrique, il était un véritable ambassadeur italien, dans le sens où il faisait aimer le monde aux Italiens. Un modèle de diplomate qui contraste avec le provincialisme décadent typique de notre pays. Il avait compris que l'avenir de l'Afrique ne dépend pas seulement de quelques affaires mais du destin de l'Europe. Estimé par les hommes politiques congolais et les organisations humanitaires, il s'est mis au service de la communauté dans la région du Kivu". Une région, explique Riccardi, qui a la réputation d’être le "trou noir du Congo". "En raison de la présence de milices liées aux intérêts les plus divers, des Hutus rwandais, de la guérilla et du banditisme. Mais surtout en raison de l'absence de l'État".

Pourtant, il serait trop facile d'écarter le massacre survenu dans la forêt congolaise comme un fait lointain, d'un peuple dans l'ombre de la civilisation occidentale. "Ce qui se passe au Congo, au Kivu, en Afrique, est-il vraiment l'arrière-garde de la civilisation ?" demande Riccardi. "S'agit-il vraiment des mêmes zones géographiques que celles que les Romains antiques ont marquées sur la carte avec les mots Hic sunt leones ?"

En vérité, poursuit-il, elles sont plus proches que nous le pensons. Et le monde dit "civilisé" a ses responsabilités. Comme l'a écrit Mario Giro dans son livre Guerres noires (Guerini), l'Afrique est en train de devenir "le laboratoire d'une mondialisation sans pitié ni bienveillance". La primauté de l'intérêt économique sur l'homme, sur la préservation de la communauté, va de pair avec le suicide ou le meurtre de l'État. Je pense aux populations déplacées pour faire place à l'exploitation des matières premières, du coltan au cobalt, à la nature détruite".

Ainsi, la mondialisation "a introduit des éléments explosifs dans la situation africaine déjà fragile, la propagation des armes, les conflits, la primauté de l'argent". Alors au-delà des condoléances, au-delà de l'indignation face à l'horreur, il y a une Europe, un monde "civilisé" qui doit se demander : "Est-ce seulement la faute des Africains ?" Riccardi marque une pause. "Non, c'est évidemment plus complexe. Les Africains coopèrent désormais dans l'expression d'intérêts mondiaux qui sont occidentaux mais aussi chinois, russes, indiens. Face à cette mondialisation sans merci, sans pitié, je me demande donc : l'Afrique est-elle l'arrière-garde ou l'avenir du monde ?"

La pensée européenne sur l'Afrique est masquée par trop de rhétorique, elle est ainsi réduite à des vœux pieux, sans compassion ni courage. "Pour que le sacrifice de l'ambassadeur et du carabinier ne soit pas vain, je ne vois qu'une façon - réfléchit Riccardi - pour que l'Europe redevienne un sujet politique, capable d'interpréter une autre forme de mondialisation, de construire une autre relation avec l'Afrique. Le grand poète et président sénégalais Léopold Sédar Senghor a parlé de l'Eurafrique comme d'une alliance nécessaire à l'équilibre du monde. Nous sommes peut-être loin de ces utopies. Mais en tant qu'Italie et qu'Europe, nous avons le devoir de reprendre une politique plus active dans le contexte africain, pour la construction d'un État non corrompu, respectueux des droits de l'homme et jaloux de sa souveraineté. C'est la seule garantie d'une mondialisation qui ne soit pas sauvage et dans laquelle les États se rendent responsables du bien commun des peuples".

[traduction de la rédaction]
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