Oser la concorde au nom d’Abraham

Un éditorial d’Andrea Riccardi dans Famiglia Cristiana

Le pape François a indiqué une voie vers la paix et l’avenir à des personnes prisonnières des douleurs du passé

Par son voyage, le pape a attiré notre attention vers l’Irak, une terre tourmentée qui a désormais quitté nos projecteurs et nos centres d’intérêt. Elle reste une zone de guerre, qui a souffert du régime dictatorial de Saddam Hussein, des conflits entre groupes ethniques et religieux, de la brutalité furieuse du soi-disant État islamique, qui avait établi sa capitale à Mossoul, la ville qui a été des siècles durant la plus chrétienne du pays. 

En Irak, récemment, les chrétiens étaient tués du seul fait de leur appartenance confessionnelle ou bien parce qu’ils allaient à l’église, comme cela a pu se produire à Bagdad même dans la cathédrale visitée par le pape. Leur martyre rejoint les souffrances du peuple tout entier : les chiites majoritaires dans le pays, tués et persécutés par Saddam Hussein ; les Kurdes combattus par le dictateur ; les Yézidis massacrés et réduits à l’esclavage par les islamistes ; les luttes religieuses et ethniques, le terrorisme... 

Chaque groupe a son histoire de douleur et a été victime du fanatisme, de la haine et des armes. Tout cela est très douloureux et complexe. Dire que c’est la faute des musulmans est simplificateur et erroné. Surtout quand c’est pour ajouter : évitons de les laisser entrer en Italie, comme immigrés ou réfugiés, car ils apporteront la violence et le désordre ! En Irak, il y a eu des musulmans fanatiques et assassins, mais la majorité des victimes sont musulmanes. Le pape François a eu l’humilité de rencontrer chaque réalité, d’en écouter les douleurs. 

Il a indiqué une voie pour sortir de l’état d’opposition et de peur : « La voie qu’indique le Ciel... est la voie de la paix », a-t-il dit à Our, en partant de la mémoire d’Abraham, père des juifs, des chrétiens et des musulmans : « Elle demande, surtout dans la tempête, de rester ensemble du même côté ». Le pape aurait pu revendiquer les souffrances réelles des chrétiens, mais il a parlé à tous les Irakiens, jetant les bases pour une coexistence fraternelle, sur laquelle doit se fonder l’État, garantissant la liberté et la sécurité pour chacun. 

Il est allé rendre visite, dans sa modeste demeure dans la ville sainte de Najaf, au grand ayatollah Al Sistani, marja', c’est-à-dire source d’imitation, la plus haute autorité dans le monde islamique chiite : les communiqués qui ont suivi la rencontre manifestent leur commun accord autour des thèmes de la paix et du respect mutuel, ainsi que sur la défense des chrétiens. Comme dans l’encyclique Fratelli tutti, François a tenu un langage humaniste, ouvert à tous et enraciné dans la foi évangélique. L'évangélisme humaniste du pape a touché un niveau de grande profondeur, qui a gagné tous ses interlocuteurs. 

François a parlé d’avenir à des personnes prisonnières des douleurs et des confrontations du passé : « Nous avons besoin, comme le grand patriarche [Abraham], de faire des pas concrets, de nous faire pèlerins partant à la découverte du visage de l’autre, de partager la mémoire, les regards et les silences, les histoires et les expériences ». Rencontrer et inclure dans la fraternité: l’humanisme évangélique a subi son épreuve du feu en se mesurant à la haine et à la douleur en Irak. 

Nous, dans cette partie du monde, en Italie, rendus attentifs à des situations aussi dramatiques, nous avons beaucoup à apprendre. Bien des fois, en tant que chrétiens, nous restons silencieux devant la situation de notre pays et de la vie des gens. En écoutant le pape en Irak, nous mesurons le trésor de vie et d’espérance d’avenir que recèlent les « coffres » de l’Église. Sans doute faut-il avoir le courage de les ouvrir et de vivre selon les richesses d’espérance et de prophétie qui sont en elle.

 

Editorial d’Andrea Riccardi dans Famiglia Cristiana du 14/3/2021

[traduction de la rédaction]