Un conflit ethnique en Ethiopie, ignoré par le monde

Editorial d'Andrea Riccardi

Avec l'aide des Erythréens, le premier ministre éthiopien Ahmed, a déclenché une campagne de haine contre la minorité chrétienne des Tigré.

En Éthiopie, il y a une guerre qui ne fait pas de bruit : pas d'images et pas de présence médiatique. En 2018, Abiy Ahmed, devenu premier ministre (le premier représentant de l'ethnie oromo à accéder à un tel poste), avait suscité de grands espoirs avec des signes concrets de changement, notamment la paix établie avec l'Érythrée, au point de mériter le prix Nobel en 2019. Aujourd'hui, certains pensent que cet accord cachait une volonté hégémonique, et désormais les masques sont tombés : les Oromo, qui ont toujours été marginalisés, ont établi une nouvelle alliance avec les Amhara (anciens détenteurs du pouvoir) pour se débarrasser de l'hégémonie des Tigré. 

La rivalité entre les peuples est inscrite dans l'histoire ancienne de l'Éthiopie, notamment entre les Tigré et les Amhara chrétiens, et les Oromo musulmans, marginaux mais plus nombreux. Avec la victoire du Front de libération tigréen en 1991 et l'indépendance parallèle de l'Érythrée, le pays a été subdivisé en États fédéraux où prédominent les groupes ethniques. Le pouvoir royal est resté entre les mains des Tigré pendant vingt-sept ans. La crise politique de 2012, provoquée par la mort soudaine du Premier ministre Méles Zenawi, a finalement été résolue par un renversement d'alliances. Je me souviens de l'atmosphère de malaise qui régnait lors de ses funérailles, où j’ai représenté le gouvernement italien. Puis il y a eu des raidissements et des tentatives de sécession : cette option est inscrite dans la Constitution, calquée sur celle de la Yougoslavie de Tito. 

Les tensions croissantes ont conduit à des affrontements armés dans le Tigré en novembre dernier. Puis les Erythréens sont intervenus pour soutenir les Ethiopiens en entrant dans le Tigré. 

La haine entre cousins s'était manifestée lors de la guerre de Badmé entre 1998 et 2000 : pendant deux ans, ils s'étaient cruellement battus autour de la ville jusqu'à ce que l'armée éthiopienne, dirigée par des Tigré, pénètre en Érythrée, menaçant Asmara. Meles ne voulait pas donner le coup de grâce, mais l'affront était grand. 

Aujourd'hui, on parle de centaines, voire de milliers de personnes tuées par les troupes d'Asmara (apparemment parfois dissimulées sous des uniformes éthiopiens) à la recherche des dirigeants du front tigréen en fuite. La guerre au Tigré prend le visage effrayant d'un conflit ethnique : massacres de civils, viols, famine, déportations et exode des réfugiés. 

Les histoires d'horreur commencent à s'accumuler. L'inquiétude des agences internationales et des organisations humanitaires est croissante. Officiellement, les autorités d'Addis-Abeba ont déclaré que le conflit était terminé et (jusqu'à il y a quelques jours) ont nié la présence de soldats érythréens. On craint un effet d'entraînement qui pourrait concerner d'autres régions d'Éthiopie et au-delà, comme le montrent les tensions à la frontière avec le Soudan voisin. 

Les rapports sur le développement d'une haine ethnico-religieuse sont dramatiques : destruction d'églises, massacres de prêtres orthodoxes et de fidèles Tigré, attaque de l'église de Notre-Dame-de-Sion à Aksoum (où sont conservées, selon la tradition, les tables de la loi de Moïse) avec le massacre de centaines de fidèles sans défense. 

Je me souviens de l'impression de la foi unanime des chrétiens de l'ancienne Église orthodoxe lors des célébrations de l'Épiphanie à Aksoum, il y a plusieurs années. L'Église était au cœur de l’identité de la nation Tigré et de l'Éthiopie dans son ensemble, elle le paie très cher.

Le pape François a fait entendre à plusieurs reprises sa voix en faveur de la paix en Éthiopie. Avec la présidence du G20, l'Italie peut utiliser son autorité dans les négociations actuelles pour obtenir du gouvernement éthiopien une avancée humanitaire réelle dans ce conflit dramatique. 

Editorial d'Andrea Riccardi dans Famiglia Cristiana du 25/04/2021
[traduction de la rédaction]