Quatre ans de pontificat : la « sympathie » évangélique d’un pape missionnaire

Dès le début, le pape a mis au premier plan le caractère attirant du christianisme en utilisant un langage évangélique. L'éditorial d'Andrea Riccardi dans le Corriere della sera

Ces quatre dernières années, Bergoglio a relancé le rôle, notamment diplomatique, de l’Eglise en utilisant un langage plus ancré dans le vécu et moins ecclésiastique, ouvert aux diversités.

 

Quatre années se sont écoulées depuis l’élection du pape François : la moitié du pontificat du pape Ratzinger. Quant à Jean XXIII, il a été pape pendant cinq ans à peine. Le pontificat de Bergoglio est marqué par la « surprise », à commencer par celle du nom de François. Une immense popularité a accompagné ce « chrétien sur le trône de Pierre », pour reprendre l’expression de Hannah Arendt à propos de Jean XXIII. Dès le début, le pape a mis au premier plan le caractère attirant du christianisme en utilisant un langage évangélique. Les combats pour les « valeurs non négociables », il les a abandonnés, convaincu que s’appesantir sur le plan socio-politique ne constitue pas une victoire pour l’Eglise, qui doit attirer et non pas « lutter contre ». Dans ce sens, le conclave de 2013, en élisant Bergoglio, a renversé le modèle de christianisme minoritaire, cohérent, défenseur des valeurs, tel que l’expriment l’Eglise italienne et d’autres Eglises. Les cardinaux se sont tournés vers l’Amérique Latine, le plus grand continent catholique, où avait mûri la vision de la conférence des évêques à Aparecida. Cette dernière, sous l’influence du cardinal et des théologiens de Buenos Aires (mais pas seulement eux), a proposé une vision du christianisme de peuple, sans frontières, aux dimensions de la ville globale, pas défensive. Pour François, l’Eglise doit inaugurer une saison de sympathie, au sens profond et évangélique du terme.

Depuis 2013, Bergoglio, en tant que pape, est « missionnaire », comme il entendait l’être quand il était jeune et comme l’interprète de façon complexe son penseur de référence, Michel de Certeau. Il communique l’Evangile avec un langage ancré dans le vécu, a horreur du langage ecclésiastique, rencontre des personnes et des mondes différents, ne se coupe pas de la diversité et de l’altérité, mais se laisse au contraire attirer par elles. Il est serein, plus allègre qu’il ne l’était à Buenos Aires, à son aise dans le « métier impossible » de pape, ainsi qu’il le définit. Il a placé sous l’attention de tous, comme jamais dans l’Eglise, les pauvres et les faibles. Les critiques disent qu’il récolte plus de consensus en dehors de l’Eglise qu’à l’intérieur. C’est un mythe. C’est au contraire un immense peuple de fidèles lui le suit. Son pontificat secoue l’Eglise, en lui redonnant sa vitalité, mais les critiques internes ne manquent pas parmi les prêtres, les évêques, les gens de la curie. Pour cette raison notamment qu’il exige des changements. Il a créé un climat de plus grande liberté : ainsi, les critiques fusent et la webosphère s’emballe, surtout les sites traditionnalistes.

« L’obéissance n’est plus une vertu », écrivait don Milani en d’autres temps. Cela est vrai aujourd’hui, surtout dans les milieux conservateurs et traditionnels. L’une des contradictions évidentes d’un catholicisme traditionnel, qui devrait être acquis au pape, est qu’il n’aime pas, voire attaque le pape. Ainsi, parmi les catholicismes de l’Est, ceux de Visegrad, la perplexité est de mise, en particulier quand le pape parle de la famille ou des migrants. Dans différentes Eglises africaines, son message est filtré par des évêques inquiets de voir se perdre l’identité catholique et le prestige de l’autorité dans un monde assiégé par les mouvements sectaires et par la théologie de la prospérité. L’on n’a jamais autant vu d’oppositions au pape, pas même du temps de Paul VI. Toutefois le leadership papal est fort. Il ne s’agit pas d’en dresser le bilan. Certes, François est une référence sur la scène internationale. La chancelière Merkel le considère comme un grand leader. Beaucoup de chefs de gouvernement lui rendent visite à Rome, après que la diplomatie a négligé le Vatican avant lui. L’Irlande, après avoir fermé son ambassade au Vatican en 2011, l’a rouverte avec François. En ce moment, le pape est préoccupé par le climat de tension internationale. Le fait qu’il redoute une guerre plus ample n’est pas un secret, ni son constat que le monde est en train d’accepter comme un fait normal l’idée de combattre, même si pour le moment ce n’est que « par morceaux ».

François ne croit pas à un projet réformateur à mettre en œuvre dans l’Eglise. Celui, limité, des changements de la Curie, peine à se mettre en œuvre. Le pape gouverne avec détermination mais, en même temps, reste ouvert aux suggestions. Le rôle de la Secrétairerie d’Etat, proche du pape, a repris de la vigueur. Certaines procédures, comme la nomination des évêques, sont souvent contournées par le pape, car elles ne le convainquent pas en raison de leur caractère « de cordée » (comme il le dit). Pour la nomination du vicaire de Rome, il a organisé une vaste consultation chez les prêtres et les laïcs. On le sent animé du sentiment de responsabilité personnelle du supérieur jésuite, mais aussi du souci (toujours jésuite) de la consultation. Il ne s’agit pas encore de nouvelles institutions stables. François guide l’Eglise vers une transition délicate à l’intérieur de la mondialisation, dans laquelle il voit la primauté tyrannique de l’économie et l’évolution préoccupante du religieux vers le culte de la prospérité ou de l’identité belliqueuse. Il ne veut pas le refuge derrière les murs du souverainisme catholique, qui se présente comme le protecteur d’une prétendue nation chrétienne. Il croit dans la navigation en haute mer, convaincu que les consciences des chrétiens et la foi des humbles ont la boussole de l’avenir. Illusoire, voire présomptueux par rapport à ses prédécesseurs ? Le pape Bergoglio rappelle qu’il est venu à Rome il y a quatre ans avec un billet retour pour Buenos Aires et la perspective de la retraite. Il n’était pas le candidat de la grande presse. Il fait comprendre que, s’il a été choisi, c’est qu’il y aura eu une raison « supérieure ». Ainsi affronte-t-il l’avenir de façon pacifique à quatre-vingts ans, avec un programme dense, et entre autres des voyages en Egypte et en Colombie. Les surprises ne sont pas terminées. Redoutées par les uns et souhaitées par les autres.

Il Corriere della Sera 12 mars 2017