La nouvelle « résurrection » des chrétiens au Moyen-Orient. Le commentaire d’Andrea Riccardi dans le Corriere della Sera

Les anciennes communautés sont en train de disparaître, mais on voit se créer des présences consistantes d’immigrés et de travailleurs, bien que privés de citoyenneté et de droits

Les célébrations de la Semaine sainte nous relient par la pensée au Moyen-Orient, où le christianisme est né. Un manuscrit découvert à Arezzo en 1884, édité en qualité de journal de voyage d’Hétérie ou Égérie, rapporte le compte rendu du voyage qu’a entrepris une pèlerine du 4e siècle au Moyen-Orient : il montre que les liturgies chrétiennes, en particulier pascales, sont modelées sur les lieux et traditions de la Terre Sainte. Cela est devenu le patrimoine des Églises dans le monde. Que reste-t-il aujourd’hui du christianisme au Moyen-Orient ? Bien peu. On se demande pourtant ce que seraient les Églises sans racines en Orient. Pendant des siècles, malgré la cohabitation difficile avec le monde islamique, les communautés chrétiennes ont été vivantes. Depuis le siècle dernier, l’émigration attire les chrétiens orientaux. Pour eux, à la faveur du réseau de la diaspora, il est plus facile d’émigrer que pour les musulmans. Or à présent, le processus d’érosion des communautés chrétiennes orientales semble toucher à sa phase finale.

Les chrétiens, dans leur majorité, sont arabes ou arabophones comme les musulmans : ils ont joué un rôle important dans la renaissance de l’identité arabe au siècle dernier. Aujourd’hui ils émigrent pour fuir les guerres et la cohabitation avec l’islam. Ils résistent encore au Liban, où ils sont 1 300 000. Ils sont nombreux en Égypte : plus de 10 millions, en majorité coptes. Là-bas pourtant, participer aux liturgies dans les églises, dans lesquelles plusieurs attentats ont été perpétrés, constitue un acte de courage. Liban et Égypte sont les seules exceptions au Moyen-Orient, même si, les chrétiens quittent aussi ces régions.

Dans les autres pays, chaque Pâque enregistre un nombre de chrétiens en recul. En Terre Sainte, bien que les rites de la Semaine sainte soient fréquentés (surtout par les pèlerins), les chrétiens sont peu nombreux, moins de 170 000. Il est difficile d’obtenir des chiffres précis au Moyen-Orient où souvent les autorités religieuses fuient la réalité implacable des statistiques. Bethléem, la ville de Noël, était chrétienne à 85 %, mais aujourd’hui les chrétiens représentent environ 20 %. En Syrie, les chrétiens ont fui du fait de la guerre. Il en reste un demi-million, à comparer aux deux millions de 2011. Alep, cœur du christianisme syrien avec 300 000 chrétiens au début de la guerre, en compte aujourd’hui à peine 30 à 40 000. La moitié des trente églises sont détruites. Les chrétiens syriens appuient le gouvernement, mais ils sont aussi 450 à être enfermés dans les prisons de Assad, tandis que d’autres ont été tués par Daech.

La Pâque des chrétiens irakiens rassemblera une communauté réduite à 250 000 personnes. Ils étaient plus d’un million. La moitié de ceux qui étaient partis en 2014 sous l’effet du chantage de Daech, préférant l’exode à la conversion à l’islam, sont retournés à Mossoul et dans la plaine de Ninive. Beaucoup sont restés au Kurdistan ou dans les camps jordaniens. Ils sont passés au travers de nombreuses épreuves, attentats et assassinats. L’invasion américaine, conçue comme une « croisade » pour la démocratie, a rompu le fragile équilibre dans lequel les chrétiens avaient un espace protégé par Saddam Hussein (qui avait choisi l’un d’eux, Tarek Aziz, comme vice-premier ministre). Sur le territoire de l’actuelle Turquie, en 1914, les non musulmans représentaient près de 20 % de la population ; aujourd’hui les chrétiens sont à peine 125 000. Antioche, où les chrétiens ont été pour la première fois appelés par ce nom à l’époque des apôtres, compte une poignée de fidèles alors qu’ils représentaient quasiment la moitié de la ville. Mardin et le Tur Abdin, patrie ancestrale des syriaques, qui s’étaient mis ici à l’abri de l’histoire, sont une terre riche de monuments chrétiens magnifiques, mais dépeuplée de ses fidèles. L’heure semble venue de la fin des chrétiens au Moyen-Orient.

Pourtant, quelque chose bouge dans le paysage religieux moyen-oriental. Les vicissitudes traumatiques du monde islamique, tellement marquées par la violence, ont amorcé de sérieuses remises en question dans certains secteurs du monde musulman. En Irak, il y a des musulmans qui, s’étant détournés de leur religion, se déclarent non croyants. Un nouveau facteur. Çà et là, de façon discrète, il y a des passages au christianisme. Il s’agit naturellement de phénomènes très minoritaires dans les masses islamiques.

Mais surtout, les chrétiens reviennent. En Turquie, par milliers : philippins, africains, même arméniens. En Terre Sainte : parmi les émigrés (roumains, philippins et autres) et les réfugiés, ils sont 160 000, dont 30 000 érythréens. De nombreux chrétiens (crypto) sont d’origine russe : ils ont profité de la loi du retour pour les juifs. En Arabie Saoudite, où tout acte religieux non musulman est interdit, il y aurait 1 500 000 chrétiens, surtout philippins et indiens (7 % de la population). Au Qatar, jusqu’en 1999, tout culte non musulman était interdit. Aujourd’hui il y a une église (où de nombreuses messes dominicales sont célébrées) pour 200 000 catholiques et d’autres seront construites. Dans les Émirats arabes unis habitent 950 000 catholiques : pour Pâques, on prévoit un demi-million de fidèles à la messe dans les huit paroisses.

Les anciens chrétiens du Moyen-Orient sont en train de disparaître, mais on voit se créer de nouvelles et consistantes présences d’immigrés et de travailleurs, bien que privés de citoyenneté et de droits. C’est une sorte de « résurrection » du christianisme en Orient. Le monde l’a découvert durant la messe du pape François à Abu Dhabi, à laquelle avaient assisté 170 000 personnes. Un événement impensable jusqu’à il y a un an. Une présence chrétienne antique dépérit, mais il en naît une autre, différente et nouvelle. Cela aussi est une Pâque pour les chrétiens.

Photo Corriere della Sera