Le beau visage de l'Italie qui accueille : Antoun, qui a fui avec sa famille la guerre en Syrie, et Silvia de Castelfidardo, qui les a accueillis

Deux histoires croisées : d'un côté, celle d'Antoun, qui a fui la guerre en Syrie, avec sa famille, est arrivé en Italie grâce aux couloirs humanitaires. De l'autre, celle de Silvia qui les a accueilli. Deux histoires qui montrent le beau visage de l'Italie qui veut accueillir et intégrer. Vous trouverez ci-dessous leurs témoignages, donnés lors du congrès Couloirs humanitaires pour une Europe solidaire” qui s’est tenu à la Chambre des députés italiens.

 

Antoun

Je m'appelle Antoun Assaf, je viens de la Syrie, j'ai une petite famille. Deux jeunes enfants Mousa et Yana, et ma femme Nadine. Je voudrais dire un mot au sujet de la Syrie. Tout le monde sait que la Syrie est dévastée, qu'elle est morte, qu'il y a la guerre, que ses enfants se noient en mer. Toutefois peu de gens savent comment était la Syrie auparavant. 

La Syrie possède un patrimoine historique, culturel et archéologique considérable. C'est une terre de civilisation ancienne sur laquelle de nombreux peuples sont passés et ont laissé leur apport : les Araméens, les Assyriens, les Byzantins. Damas et Alep font partie des villes les plus anciennes de notre histoire, on peut y trouver la tombe de Jean-Baptiste. Il y a encore des forteresses anciennes, des ruines millénaires. Mon histoire ressemble à l'histoire de tous les Syriens.

Je suis né dans une famille pauvre qui m'a tout donné, me permettant de faire des études. Je suis diplômé comme ingénieur pétrolier et j'ai trouvé un travail. Pendant plus de 10 ans, j'ai travaillé dans le désert. Mais la vie n'était pas toujours tranquille, nous avons traversé des moments affreux, nous avons vu la mort à plusieurs reprises. Pour ma famille, la situation était pire encore, car j'ai des enfants et je voyais qu'ils grandissaient d’une façon très différente de celle que j'avais rêvée pour eux. Avec la guerre, nous n'étions plus en sécurité, nous n'avions plus d'avenir, le système éducatif était ruiné, la génération la plus jeune a grandi en voyant le sang couler, nous avons été privés de soins médicaux et de médicaments.

Il m'est très difficile de décrire la guerre avec des mots, c'est trop affreux, ça supprime les moments bons et heureux et transforme tous mes souvenirs en tragédie. C'est pour cette raison que j'ai décidé de fuir la Syrie, même si c'est mon pays et que je l'aime, et c'est ainsi que nous sommes partis pour le Liban. Mais au Liban aussi, la vie a été très dure et j'ai voulu partir avec ceux qui me sont chers.

J'ai voulu bien faire les choses, sans prendre de risques pour ma famille, mais je ne voyais aucune issue. Puis nous avons eu la chance de découvrir les couloirs humanitaires et grâce à l'aide de la Communauté de Sant'Egidio, nous sommes arrivés ici, en Italie, depuis pratiquement 1 an et 5 mois.

L'Italie est un beau pays et les gens sont ouverts, nous avons trouvé de bonnes personnes qui nous ont aidé de tout leur cœur comme si nous étions membres d'une unique et belle famille. J'ai appris l'italien, j'ai pu passer mon permis de conduire, avec difficulté, et j'ai trouvé un travail dans le contrôle qualité dans une entreprise locale. J'ai pu m'acheter une voiture, nécessaire pour mes déplacements. Ma femme et moi avons engagé les procédures pour faire reconnaître nos diplômes, et le prêtre de l'association PASCI nous a proposé d'accompagner deux groupes d'étrangers dans leur processus d'intégration et de recherche de travail.

Enfin, la chose la plus importante pour nous et que mes enfants vont à l'école, ils jouent au parc avec d'autres enfants, ils reçoivent les soins dont ils ont besoin, la sécurité et surtout une espérance pour l'avenir. Je remercie toutes les personnes qui soutiennent les couloirs humanitaires car ils offrent vraiment une vie nouvelle à de nombreuses personnes. Je vous remercie pour votre attention.

Silvia

Bonjour à tous !  Grâce aux couloirs humanitaires promus par la Communauté de Sant’Egidio, j'ai contribué à l'accueil et à l'intégration d'une famille syrienne composée d'un père, d'une mère et de deux enfants de 3 et 7 ans. Leur ville d'origine et Homs, ville désormais détruite par la guerre, où il n'est plus possible d'imaginer non seulement un avenir mais encore moins le présent. Nous les avons accueillis à Castelfidardo, une petite ville de la province d'Ancône, célèbre pour la bataille de 1860 pour l'Unité d'Italie et pour l'invention de l'harmonica. 

La famille est arrivée en Italie il y a un an et demi, après un séjour de 2 ans au Liban, laissant derrière elle des personnes chères, renonçant définitivement un travail, à la maison construite avec les économies, au rêve d'une vie familiale sereine sur la terre natale. Après avoir longuement lutté pour rester dans leur pays, Antoun et Nadine ont dû se rendre à l'évidence : cette guerre longue et usante leur empêché d'avoir une activité quotidienne normale et mettait constamment leur vie en danger. Confiants dans le soutien gratuit, bienveillant et totalement inattendu (ce sont leurs paroles) de ceux qui les ont aidés à quitter la condition d'exilés, ils sont arrivés dans notre pays avec seulement une petite valise et beaucoup d'espérance pour un avenir meilleur. 

Malgré les tracasseries quotidiennes, l'inexpérience et les nombres doutes sur nos capacités, nous avons décidé, avec d'autres bénévoles de l'association PASCI, de relever avec enthousiasme ce défi, guidés par mon père, responsable du projet d'accueil, malheureusement décédé un mois après l'arrivée de la famille. Le début de la nouvelle vie en Italie n'a pas été simple et sans obstacle : après la phase initiale d'accueil chaleureux, peu à peu sont apparues les différences culturelles. Il y a aussi eu quelques moments d'opposition qui nous ont permis de nous connaître et nous respecter mutuellement, créant ainsi une amitié sincère et loyale, basée sur le respect et sur un échange sincère de nos points de vue. Les accompagner dans une intégration véritable, les aider à comprendre notre société a été pour nous la tâche la plus complexe : “ ne faussons pas leurs attentes” disions-nous. Offrir la perspective d'une opportunité nouvelle mais faire comprendre les grandes difficultés que rencontrent aussi les familles italiennes de nos jours, difficultés que cette famille devra inévitablement affronter dès qu'elle aura obtenu son autonomie. L'apprentissage de la langue italienne, l'inscription des enfants à l'école, le début de la reconnaissance de leurs diplômes, l'obtention du permis de conduire, l'obtention de l'asile politique, la délivrance du permis de séjour, et pour finir, ce qui est très important, un travail salarié ont été les nombreux défis relevés ces derniers mois grâce à l'engagement et au travail d'équipe d'un petit groupe de personnes.

Voir que cette famille, après seulement 1 ans et 5 mois passés en Italie, est déjà parvenue à une intégration presque complète, mais surtout découvrir un sourire sur leurs lèvres, un regard enfin serein et plein de gratitude, nous remplit de joie et nous rembourse tous les efforts engagés pour surmonter les obstacles que nous avons rencontrés sur le chemin.

De leur côté, Antoun et Nadine se sont rendus disponibles pour prendre en main l'intégration d'autres jeunes arrivés dans notre ville après eux, et qui se trouvent actuellement en grande difficulté. Notre initiative d'accueil a séduit de nombreuses personnes qui étaient un peu méfiantes au début, peut-être par peur d'accueillir de nouveaux concurrents susceptibles de nous priver de ressources et d’opportunités. Peu à peu, faisant connaissance avec la famille, et en la rencontrant au parc, à l'école, ou au supermarché, la peur s'est dissipée et plusieurs personnes nous ont proposé leur aide et ont été heureuses de soutenir cette initiative concrète de solidarité. Evidemment dans une société où la méfiance s'accompagne de peur pour l'avenir, il reste quelques poches de résistance. La décision d'accueillir revêt une signification immense de témoignage, et nous pousse à réfléchir sur notre société sur le modèle que nous voulons laisser en héritage à nos enfants. Notre petite aventure représente un enrichissement culturel, mais surtout humain et social. C'est un élan nouveau pour nous et nos enfants, une occasion de développement et d'enrichissement intérieur dans un profond respect mutuel. “Imagine quelle opportunité cela représente pour Bianca, de faire connaissance avec un voisin d'une autre culture !”  disait mon père en parlant de ma fille, avant que la famille arrive. Maintenant, avec plus d'un an de recul de, je peux dire qu'il avait raison. 

Être leur “nouvelle famille” comme ils disent, nous remplit de joie. Je dirais qu'offrir une seconde possibilité raccourcit la distance entre nous et d'autres personnes qui se sont trouvées dans une condition d'extrême difficulté et dont les droits les plus élémentaires ont été bafoués du jour au lendemain, dans l'indifférence et l'impuissance du reste de l'humanité. Comme l'a dit le professeur Marco Impagliazzo il y a quelques jours, accueillant quelques familles de réfugiés à l'aéroport de Fiumicino, nous avons fait l'expérience que “les couloirs humanitaires sont vraiment des couloirs humains, qui nous humanisent et humanisent la société.”