Paul VI, le saint pape qui relança l’Église. Andrea Riccardi dans le Corriere della Sera

par Andrea Riccardi, Corriere della Sera, 7 août 2019

François l’a canonisé en octobre 2018 en créant la surprise, car Montini ne jouit pas de la popularité de Jean-Paul II ni de celle de Jean XXIII

Cette année encore, des groupes liés à Paul VI ont fait mémoire de sa mort, il y a trente-et-un ans, le 6 août 1978, dans le silence de Castelgandolfo, après une tragédie qui l’avait touché de près, l’assassinat d’Aldo Moro par les Brigades rouges. Or, cette année, ils ont fait mémoire de « saint Paul VI ». Le pape François l’a canonisé en octobre 2018. Canonisation surprenante, car Montini ne jouit pas de la popularité de Jean-Paul II, « santo subito » après sa mort, ni de celle de Jean XXIII, qui attire des visiteurs dans sa région natale, à Sotto il Monte. En déclarant Montini saint, François a voulu « canoniser » un témoin de l’Église conciliaire en sympathie avec le monde. Modèle compliqué pour la piété populaire, mais message clair adressé à l’Église du 21e siècle.

Bergoglio considère quasiment Montini comme un inspirateur : il fait souvent référence à l’encyclique Evangelii nuntiandi, avec laquelle Paul VI relança l’Église. C’était en 1975, trois avant sa mort, alors qu’il était laminé par la contestation qui secouait l’Église depuis 1968. Frein pour les « progressistes », pape infidèle pour les conservateurs, Montini déplaisait à beaucoup de personnes qui voyaient en lui l’origine de la crise de l’Église et qui l’accusaient de brader cette dernière en l’adaptant à la modernité. Le nombre des fidèles diminuait ; les prêtres s’en allaient : « Avec Vatican II, nous attendions le printemps, et c’est l’hiver qui est venu », dira Paul VI. En 1977, un grand historien publia un livre dont le titre même était éloquent : Le christianisme va-t-il mourir ? Une grande partie des sociologues prévoyait une progression massive de la sécularisation qui emporterait le catholicisme et les religions. L’histoire prit ensuite une tout autre direction.

Bergoglio est différent de Paul VI. Ce dernier aimait les projets d’ensemble et les réformes, courageux dans sa manière d’entreprendre des changements, de manière progressive et en favorisant la médiation. Il a été – disait Émile Poulat – le « seul pape démocrate-chrétien », étant lui-même un des architectes de la démocratie italienne avec, au centre, Démocratie chrétienne, le parti vers lequel il dirigea les catholiques. Figure à plusieurs facettes, homme d’Église avec une sensibilité politique : « On n’était pas en présence d’un clerc, mais d’un laïc promu de manière inattendue à la papauté », disait l’ami Guitton. Un « génie italien », qui n’avait rien de provincial, artisan de l’entrée du Sud du monde dans les responsabilités de l’Église. Mais son Vatican n’était pas l’ONU où la représentation de toutes les nationalités était nécessaire. Il possédait un sens élevé du rôle de Rome et de l’élément italien dans l’Église, non pas en position de monopole comme l’était un État, mais comme réalité de synthèse. À une époque de fragmentation, il était convaincu du rôle qu’avait le pape à faire progresser l’internationale de l’Église. Pour lui, gouverner était un grand service.

Jean-Paul II n’a rien rééquilibré après le progressisme montinien, contrairement à ce que d’aucuns affirment. S’il y a une figure liée à Montini, c’est bien celle de Jean-Paul II qui, avec un grand charisme (que Montini n’avait pas), se plaça dans les rails tracés par le pape italien avec une admiration pour lui, montant la fécondité de la voie qu’il a ouverte. Comme lui, il insista sur la foi créatrice de culture, thème aujourd’hui important en cette époque d’émotivité et de déculturation, même dans le domaine religieux. Ratzinger, quant à lui, a été plus perplexe à l’égard de Montini. Bergoglio est différent de Montini de par son caractère et son histoire. Nous sommes à une autre époque. Pourtant, avec la canonisation de Paul VI, François a proposé un modèle : un grand témoin de Vatican II au 21e siècle. Pour dire avant tout que c’est une histoire sur laquelle on ne revient pas. Jamais surtout une Église contre. Une histoire qui, à travers les crises qui accompagnent la réalité changeante de l’Église, a montré sa fécondité. Le catholicisme, en ce moment, révèle une pauvreté en matière d’idées et de réflexion, ne serait-ce que sur les changements en Italie. Repartir de Paul VI, c’est se situer dans une histoire qui va au-delà de la routine, des petites polémiques, des inerties. Car, sans le souffle de l’histoire, manquent aussi la vision et l’avenir.

Traduction réalisée par la rédaction.

Article en italien paru dans le Corriere della sera