Le décrochage scolaire des enfants de l'enseignement primaire, une crise dans la crise

Editorial de Marco Impagliazzo dans le Corriere della Sera

Nos enfants, nous le savons depuis un certain temps déjà, vivent un drame dans le drame de la pandémie. Ils ont été peu scolarisés ces derniers mois et sont soumis à une pression psychologique sans précédent. Il existe plusieurs signes d’un malaise croissant, comme les bagarres de rue, tandis qu'on observe une augmentation alarmante des actes d'automutilation. Ce sont là des conséquences de l'isolement forcé et de la plus grande difficulté qu’éprouvent les jeunes à se retrouver entre eux.

Je voudrais m’arrêter ici sur les élèves du primaire et du collège, dont on parle moins que ceux du lycée. Et pourtant, les Rectorats et le Ministère de l'Education nationale reçoivent de plus en plus de signalements de mineurs qui ne vont plus à l'école (primaire ou collège) ou qui perdent, dans le vaste réseau de l'enseignement à distance, la continuité de l'enseignement et des relations qui est la plus grande garantie de la réussite scolaire.

La bataille contre le décrochage scolaire, que l'Italie mène depuis longtemps et qui avait récemment connu quelques timides progrès, risque maintenant de reculer à nouveau, à cause de la pandémie. Les dernières données publiées par la Commission européenne ("Rapport de suivi du secteur de l'éducation et de la formation pour 2020") nous rappellent l'ampleur du problème. Les mineurs qui quittent prématurément l'éducation ou la formation représentent 13,5 % du total. L'Italie est malheureusement parmi les derniers pays européens dans ce classement. Nous parlons de chiffres pour 2019, avant que l'épidémie ne se propage. Mais le phénomène s'étend - comme le montre une enquête réalisée par la Communauté de Sant'Egidio - et est encore plus important dans le Sud, dans les banlieues des grandes villes et parmi les enfants d'origine étrangère, risquant de freiner les efforts d'intégration.

Tout cela nous remplit d'inquiétude. Nous parlons d'enfants et d'adolescents qui ont droit à autre chose qu'à l'école de la rue ou à une éducation incomplète, un dommage net pour la croissance citoyenne, culturelle et économique du pays.

Nous sommes affrontés à une véritable urgence, à considérer comme le premier des problèmes. Car de nous savons Don Milani que "l'école n'a qu'un seul problème, les enfants qu'elle perd". Dans Lettera a una professoressa (Lettre à une maitresse d’école), les garçons du petit village de Barbiana, étaient alors très clairs dans leurs jugements : vous (les professeurs) vous devez vous battre "pour l'enfant qui en a le plus besoin", aller "le chercher chez lui s'il ne revient pas" ; ne vous épargnez pas, "car l'école qui perd Gianni n'est pas digne d'être appelée école".

Le décrochage scolaire précoce est un phénomène complexe, qui dépend de divers facteurs. Nous ne pouvons pas penser le combattre uniquement avec l'abnégation des enseignants, car l'école ne concerne pas seulement les enseignants ou les parents. Nous devons tous en ressentir la blessure. Ce qu'il faut, c'est une action synergique qui ne laisse pas l'école seule, avec des idées, des investissements et la mise en œuvre des meilleures pratiques déjà commencées. Afin d’aller "chercher à la maison" les nombreux Gianni qui sont partis, pourquoi ne pas créer une nouvelle figure, celle de "l'animateur" scolaire, pour aller - même physiquement - chercher ceux qui se sont égarés et les réintégrer dans un parcours éducatif ? L'application de la scolarité obligatoire n'est pas seulement une question juridique.

Il est clair pour tout le monde que l'enseignement à distance, en particulier dans certaines situations marginales, n'a pas fonctionné et n’est peut-être pas en mesure de fonctionner. Tout comme l'institution de l'éducation parentale ne peut être prolongée indéfiniment, lorsque les familles ne sont pas aptes à répondre aux besoins de leurs enfants. Et puis il faudra récupérer dans les mois à venir, jusqu'à l'été, les nombreuses heures d'études perdues en laissant les écoles ouvertes aussi longtemps que nécessaire. Ce sera la tâche du nouveau gouvernement. L’actuel président du Conseil a déjà parlé, dans son bref discours d'acceptation, d'un "regard attentif sur l'avenir des jeunes générations". C'est en effet l'esprit avec lequel il faut avancer dans les semaines et les mois à venir. Le malaise psychologique et la crise éducative de nombreux enfants et adolescents nous rappellent que le défi n'est pas seulement économique. On parle beaucoup d'un plan "Next Generation". Que l'école, et non la rue ou un téléphone portable, soit le présent et l’avenir de tant d'enfants et d'adolescents, leur "Plan de relance".

Marco Impagliazzo
[traduction de la rédaction]