Migrants : les victimes oubliées et les balbutiements d'une Europe divisée

Editorial d'Andrea Riccardi

1100 arrivées dénombrées entre Salento et Calabre. L'Italie, l'Espagne, la France et l'Allemagne peuvent créer des politiques plus humaines.

Pas de répit à Noël sur le front méditerranéen : des bateaux coulent, d'autres sont saisis par les Libyens, de nombreux morts, de nouveaux débarquements. Giorgia Linardi, dans La Stampa, rappelle que, même pour Noël 1914, pendant la Grande Guerre, il y avait eu une trêve entre les combattants. Aujourd'hui, cependant... Un nombre indéterminé de personnes sont mortes près de la Libye, poursuivies par les gardes-frontières libyens.

Dans le Salento et en Calabre, 1.100 personnes ont débarqué. D'autres sont en mer et attendent les navires des ONG.

Nous sommes habitués à ces nouvelles. On les fait défiler rapidement. Tout semble immuable.

La comptabilité de la douleur, cependant, est lourde : en un an, 1.500 personnes sont mortes en essayant de quitter la Libye ; plus de 25.000 personnes ont été capturées par la marine libyenne et reprises. 64.000 ont atteint l'Italie après un voyage périlleux.

Chaque histoire est un drame particulier. Pour trop de gens, il y a eu le terrible séjour en Libye. Dans le monde global, les gens continuent à se déplacer et à fuir. La douleur se multiplie. Il ne suffit pas d'invoquer de durs rejets comme des murs. Tout d'abord, il faut dire que l'Italie a besoin de travailleurs étrangers.

C'est ce que montre le nouveau "décret sur les flux" pour 70.000 personnes (demandé par les entrepreneurs). Des intégrations seront bientôt nécessaires, car il existe encore des secteurs en déficit, notamment le nombre croissant de travailleurs du secteur des soins à la personne, tels que les aidants.

Il existe de nombreuses situations qui se sont enracinées, où les réfugiés restent des prisonniers sans espoir. Je pense aux camps syriens au Liban (un pays en très grave crise). L'ouverture de "couloirs humanitaires" est un signe d'espoir pour les réfugiés et une aide pour les pays d'accueil. Les sociétés européennes peuvent se permettre cette solidarité. Et parfois elles le veulent, au-delà de la politique. Nous ne pouvons pas laisser les réfugiés et les migrants uniquement à la Turquie (moyennant paiement) ou au Liban. Nous ne devons pas les laisser en Libye où les droits de l'homme ne sont pas garantis, comme l'a reconnu le HCR.

La Libye, dont les élections ont été reportées, semble avoir renoué avec le chaos. La communauté internationale doit trouver un accord sur ce pays d'Afrique du Nord et l'imposer aux Libyens, car cette terre n'est plus vivable pour eux et pour les étrangers. Et puis, il y a la Tunisie, appauvrie et en danger, où nous devons continuer à intervenir.

L'absence d'une politique méditerranéenne montre les limites de l'Union européenne, où trop de pays, surtout de l'Est, ne prennent pas leurs responsabilités. Le manque de solidarité avec les autres pays européens en matière d'accueil des réfugiés en est un exemple : la petite Chypre peut-elle être le pays qui, en termes de pourcentage, accueille plus de réfugiés que tout autre pays de l'Union ? Ne crions pas au danger russe, mais regardons la douloureuse réalité d'une mer devenue le tombeau de beaucoup, sur les rives sud de laquelle se trouvent des pays problématiques et peuplés comme ceux d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Le traité du Quirinal, l'accord entre la France et l'Italie, la relation franco-allemande consolidée et la coopération avec l'Espagne sont les prémisses d'une nouvelle politique européenne de responsabilité.

C'est la réponse aux invectives contre l'invasion et à l'abandon de beaucoup. L'avenir de nos pays passe par la Méditerranée, en termes de politique, d'accueil et d'intégration des réfugiés, et de relations avec le Sud. Les gouvernements, conscients de cela, ont la responsabilité d'avancer avec courage, en interprétant leur intérêt national, mais aussi l'intérêt universel. Il s'agit en effet de la dignité des pays européens : adopter également une vision universelle.

Editorial d'Andrea Riccardi paru dans Famiglia Cristiana du 9/1/2022

[traduction de la rédaction]