Mgr Matteo Zuppi : « Il faut surmonter les frontières de l’Europe, pas en créer de nouvelles »

Les 32e rencontres « Hommes et religions » organisées, à Bologne, par la communauté de Sant’Egidio se sont achevées mardi 16 octobre après-midi.L’archevêque de la ville, Mgr Matteo Zuppi, longtemps pilier de la communauté, en exprime la portée, notamment face à la montée du populisme en Italie et dans toute l’Europe.

 

Que signifiait pour Bologne d’accueillir « Hommes et religions » la rencontre annuelle interreligieuse de prière pour la paix, organisée par la communauté de Sant’Egidio ?

Mgr Matteo Zuppi : Cela confirme la vocation de la ville, qui est celle de la rencontre. Bologne – où se trouve la plus ancienne université d’Europe – a toujours été un lieu de recherche de la connaissance, un pôle de réflexion sur le mystère que constitue la vie des hommes dans toutes ses dimensions. Les religions en constituent une part si fondamentale qu’elles trouvent facilement leur place dans la tradition de dialogue culturel qui est celle de notre ville. Nous avons tant besoin de culture ! Les religions sans la culture deviennent plus facilement la proie d’idéologies ou de fondamentalismes. Bologne est une ville de grand humanisme. Elle peut enrichir l’esprit d’Assise, lui-même profondément enraciné dans l’humanisme européen.

Y compris dans sa dimension sécularisée, non-croyante ?

M. Z. : À plus forte raison. Bologne est une ville empreinte de la tradition des idéaux socialistes et communistes, ceux de la solidarité internationale et de la solidarité avec les plus faibles. Même affaibli aujourd’hui, c’est un héritage important. Nous devons préserver l’alliance entre croyants et non croyants pour l’unique bien qui est la paix.

La rencontre de cette année était intitulée « Ponti di pace », ponts de paix. Ne sommes-nous pas dans une période où l’on construit beaucoup plus de murs que de ponts ? Comment inverser cette tendance ?

M. Z. : Les murs sont le fruit de la peur. Quand on a peur, instinctivement, on s’enferme. Alors que la peur pourrait être un instrument pour augmenter notre conscience. Les murs ne peuvent jamais être une solution. Ils compliquent les solutions parce qu’ils cachent l’autre qui pourtant existe bien. Il donne un faux sentiment de sécurité. Nous devons au contraire créer des liens vrais, des relations directes.

Créer des ponts, n’est-ce pas s’exposer au risque de perdre son identité, crainte forte actuellement en Europe ?

M. Z. : C’est la fermeture qui menace l’identité. Pas l’ouverture. L’identité sans les autres est une identité faible. Une identité contre les autres est une identité qui croit être forte. Mais, en réalité, la vraie identité est relationnelle, elle sait dialoguer avec les autres.

« L’esprit d’Assise » continue-t-il de se développer ? Ou bien ces rencontres annuelles interreligieuses sont-elles devenues une sorte de club au faible renouvellement ?

M. Z. : Il y a toujours ce risque. Mais ces rencontres demeurent très importantes et utiles. Plus les années passent et plus l’esprit d’Assise me paraît important. Il permet d’éviter le risque immense qu’est l’instrumentalisation des religions. Nous en avons besoin plus que jamais. L’esprit d’Assise a déjà donné tant de fruits. Des choses qui apparaissaient impossibles sont devenues plus faciles et quasi évidentes.

 

C’est comme pour les ponts : quand il n’y en a pas, il paraît impossible de passer d’un endroit à un autre. Quand il y en a, on se rend compte à quel point ils sont indispensables. Et lorsque, comme à Gênes, malheureusement, ils s’effondrent, tout s’arrête, tout devient beaucoup plus compliqué. Il faut concevoir des ponts, les construire et ensuite les entretenir

Que représentait une rencontre comme celle-ci dans la situation présente de l’Italie ? Quel est le message adressé au gouvernement de ce pays et à sa figure de proue, Matteo Salvini ?

M. Z. : Le message est pour tous. Car la paix a besoin de tous. Notre pays considère le présent avec difficulté, avec peur. C’est seulement si nous savons regarder l’avenir que nous pourrons trouver des solutions pour le présent. Nous avons parlé d’accueil, d’immigration, des corridors humanitaires, Nous avons réfléchi sur tant de souffrances, en particulier celle des pays frappés par la guerre. Cela peut nous aider à mieux comprendre les demandes qui nous sont adressées même si elles peuvent nous déranger.

Les élections européennes approchent. Les partis populistes en attendent un grand succès. Quel est l’enjeu à vos yeux ?

M. Z. : L’Europe traverse une période difficile, à l’évidence. Mais il est inconcevable de retourner en arrière. Au contraire nous devons faire mieux fonctionner l’Europe. Sans idéal, cela reste une bureaucratie. Nous avons certes besoin de cette bureaucratie, nous avons besoin d’institutions. Mais il faut une volonté forte. Elle peut venir de la conscience de la guerre, des souffrances de la guerre qui a ravagé l’Europe à deux reprises au XXe siècle. Or, la vraie réponse à la guerre, c’est l’Europe unie. Nous devons être plus unis et moins divisés. Les nationalismes veulent dissoudre l’Europe, qui est en réalité notre nation. Il faut surmonter les frontières, pas en créer de nouvelles. L’Europe est un héritage que nous ne pouvons pas nous permettre de perdre.

 

 

Recueilli par Guillaume Goubert (à Bologne)

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