Jamais résignés face à la barbarie. Arrêtons cette escalade insensée

Jamais résignés face à la barbarie. Arrêtons cette escalade insensée

Editorial de Marco Impagliazzo dans Avvenire

Il est triste que l'Europe soit ensanglantée par un nouveau conflit au moment où nous célébrons l'anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Et il est terrible de penser que cet affrontement puisse devenir incontrôlable. La "guerre mondiale par morceaux" dont le pape François a parlé, semble être en train de se consolider. On parle d'un possible élargissement des hostilités, on élabore des scénarios qui amplifient les enjeux ou font l'hypothèse de destructions à grande échelle. Nous assistons à une militarisation progressive des consciences, les dirigeants politiques et les représentants des médias prenant parti, provoquant et insultant dans un crescendo auto-alimenté.

Les négociations timides du début ont échoué, les voix de la paix sont réduites au silence ou dénigrées. La voix du pape François s'élève, bien sûr, mais elle aussi est déclassée au range de témoignage, alors que c'est l'une des rares voix précises et courageuses, qui est immédiatement claire sur l'énormité du risque, qui dénonce avec force la folie de ces soixante-treize jours - "Je me demande s'il y a la volonté d'éviter une escalade militaire et verbale continue" - et l'abîme vers lequel nous avançons avec une inconscience aveugle.

On parle trop, trop légèrement, à l'Est comme à l'Ouest, d'une troisième guerre mondiale. On reste glacé à la lecture des simulations exposées dans les journaux, de les voir expliquées à la télévision et de faire défiler les commentaires sur les réseaux sociaux, où l'ignorance, le somnambulisme, les acclamations de stade et une fureur absurde écrasent tout raisonnement, toute prudence.

Ma pensée remonte au mois de mai 1915, lorsque, soudainement, l'Italie a ressenti un désir fébrile de participer au conflit, d'entrer dans la mêlée, considérant la guerre comme le seul moyen de se débarrasser du "méchant" de service. Mais nous ne sommes plus dans le monde d'il y a cent ans : la planète regorge d'armes immensément plus dangereuses et, comme nous le découvrons, il n'y a pas d'hommes aussi astucieux aux commandes. Nous sommes assis sur un baril de poudre et chaque mèche est très dangereuse.

Attiser les flammes d'un nouveau conflit mondial est la chose la plus insensée que l'humanité puisse faire. La paix la plus imparfaite est préférable à une catastrophe certaine. Et le fait même d'aborder une hypothèse qui devrait rester dans la sphère de l'"indicible", de l'"inconcevable", avec superficialité et imprudence, fait apparaître un problème. L'irrationalité aurait-elle infecté un monde entier ? Nous devrions être d'autant plus effrayés par cette danse au bord de la falaise, l'évocation d'un démon, que nous ne devons pas nous faire d'illusions sur le fait que nous pourrons jamais le contrôler.

Et pourtant, comme l'a tweeté Edgar Morin, tant de personnes choisissent de " recourir à la simplification et au rejet de la complexité ", marchant imperturbablement " vers la guerre générale et la chute dans l'abîme ". Il y a un manque de conscience de ce que pourrait signifier un choc atomique, un manque de mémoire de ce qu'était le drame de la guerre.

Le cardinal Zuppi a écrit : "La conscience de deux guerres mondiales a disparu. C'est déjà le temps de l'amnésie, et les nationalismes sont des amnésies". Mais les nationalismes sont exaltés, des tons oubliés sont récupérés pour célébrer tel ou tel héroïsme - et pourtant "les héros sont ceux qui ne tuent pas", a dit justement Marco Tarquinio. Mais le climat est celui d'une croisade, le bien contre le mal, dessinant un contraste qui risque d'empêcher ce compromis indispensable dans toute médiation de paix. Il n'y a presque que l'Église, "experte en humanité", qui préserve la mémoire et tente de faire respecter le bon sens.

Sur notre planète, il est facile de déclencher une guerre. Il est difficile d'y mettre un terme. Comme au Moyen-Orient ou en Afrique, les conflits ne sont ni gagnés ni étouffés. Le risque est que la guerre actuelle - la première depuis 1945 à remettre en cause l'existence d'une superpuissance - aille jusqu'à l'extrême, coup sur coup, dans une barbarie dont il sera difficile de sortir.

Il s'agit de réagir à tout cela, avant tout avec des mots. Il s'agit de ne pas regarder passivement une épée de Damoclès géante s'élever au-dessus de nos têtes. Il s'agit de répéter et d'actualiser l'appel que Jean XXIII avait lancé le 25 octobre 1962 aux adversaires et au monde pour éviter la crise des missiles de Cuba : "Nous rappelons les graves devoirs de ceux qui ont la responsabilité du pouvoir. Et nous ajoutons : qu'ils écoutent le cri angoissé qui, de toutes les parties de la terre, des enfants innocents aux personnes âgées, des individus aux communautés, monte vers le ciel : Paix ! Paix !".

[traduction de la rédaction]


[ Marco Impagliazzo ]