Pourquoi il est nécessaire de demander de s'arrêtent immédiatement les armes. Editorial d'Andrea Riccardi

Pourquoi il est nécessaire de demander de s'arrêtent immédiatement les armes. Editorial d'Andrea Riccardi

Si l'on ne met pas fin aux combats, ce sera une défaite pour le christianisme. Les Églises orthodoxes, divisées et en conflit, risquent de perdre leur crédibilité

Editorial paru dans le Corriere della Sera 

Ce jour de Noël marquera les dix mois de l'agression russe contre l'Ukraine, qui a été systématiquement et violemment attaquée. Sept millions d'Ukrainiens sont réfugiés à l'étranger, soit près de 16 % de la population. Il ne reste qu'un pays marqué par la mort et le deuil, avec tant d'infrastructures détruites, ainsi que des bâtiments civils. La surprise, d'abord et avant tout pour les Russes, a été la résistance ukrainienne, qui a montré sa capacité à repousser l'attaque et à regagner des territoires, grâce au soutien important de l'Occident en matière de fournitures militaires et de renseignements. Mais il faut aussi dire que, dans d'autres pays, ce soutien n'a pas servi l'efficacité militaire, comme en Afghanistan.

Après tant de mois, on se demande s'il n'y a pas un risque que la guerre ne s'éternise, devenant un conflit permanent comme c'est le cas dans divers pays du monde, en premier lieu la Syrie. On s'interroge sur la vision de l'avenir qui semble faire défaut aujourd'hui, à moins qu'il ne s'agisse d'une inacceptable victoire russe sur l'Ukraine. Le déchaînement des passions, des nouvelles, des messages croisés, de la propagande de guerre (si différente du passé à l'ère des réseaux sociaux) est si intense que l'on a trop peu investi dans la réflexion sur une vision de l'avenir ou même, simplement, sur la diplomatie. Cette dernière doit continuellement compter avec les débordements constants de la propagande dont elle fait l'objet. Une négociation semble bien lointaine. Pourtant, le "cessez-le-feu" est une pause nécessaire pour envisager le coup d'après. Ici et là, des conditions ont été mises en place pour un tel choix, qui montrent toute sa difficulté.

Il resterait une option moins exigeante, mais néanmoins significative : une trêve de Noël, fondée sur des raisons humanitaires et sur l'appartenance commune des peuples russe et ukrainien au christianisme oriental . Il ne s'agit pas d'une nouvelle proposition. Benoît XV avait proposé une trêve de Noël en 1914, pendant la Grande Guerre. Il y eut alors des épisodes significatifs de fraternisation sur le front franco-allemand. C'est une trêve qui mûrit par le bas, un miracle, comme l'a titré Il Corriere en rappelant l'épisode. En 1967, dans le conflit au Vietnam, il y avait eu une trêve de Noël (et pour la fête bouddhiste du Têt, il y avait eu des trêves de facto). En ce qui concerne cette guerre, Paul VI était intervenu, demandant une trêve et sa transformation en cessez-le-feu.

Mais, bien sûr, toute trêve est sujette à la question : à qui profite-t-elle ? Cela dépend du moment et de la tactique, mais la trêve profite avant tout à l'affirmation d'un intérêt commun (et la guerre est la fin de tout sentiment d'appartenance commune). La trêve a pour but de sauver des vies, d'affirmer quelque chose qui transcende la logique du combat (Noël par exemple), de permettre aux personnes et aux combattants de respirer, de profiter d'un moment de paix pour se tourner vers l'avenir. En bref, la trêve consiste à s'arrêter, tandis que le train du conflit avance inexorablement, afin de se rappeler ce qu'est la paix. Elle a une valeur symbolique, mais sa signification politique ne nous échappe pas.

Pourquoi la proposition ne se concrétise-t-elle pas ? Tout d'abord, le cadre de référence religieux, pourtant si souvent proclamé, s'est étiolé à l'Est, notamment en Russie. Il semble que les références chrétiennes à Noël aient peu de force face à la logique nationaliste. Cela ne date pas d'aujourd'hui, si l'on se souvient de la mauvaise réception des messages de la papauté lors des deux Guerres mondiales. Cela devrait cependant nous faire réfléchir sur l'impuissance du christianisme face au mal et nous pousser à chercher de nouvelles voies pour affirmer cette paix qui, au moins depuis le XXe siècle, est devenue centrale dans le message des papes et pertinente dans la conscience chrétienne. Ainsi, l'œcuménisme chrétien a été piétiné dans les divisions amères et l'isolement des Églises orthodoxes, divisées et en conflit, mais partageant toutes le même héritage spirituel et liturgique et vivant en communion depuis des siècles, ayant parfois la même origine.

C'est là que réside le point majeur du peu de crédibilité des Eglises. S'il n'y a pas de trêve de Noël, ce sera une défaite pour le christianisme, après laquelle on ne pourra plus se cacher, en se plaignant de l'insignifiance et de la distraction des gens. La trêve sera une impulsion pour demander ce que les chrétiens doivent faire dans cette grande contradiction qu'est la guerre. Surtout, elle révélera la défaite de l'humanité, qui suit celle de l'agression russe contre l'Ukraine. Une humanité européenne et slave, qui ne sait pas trouver des raisons, des points communs, des énergies pour sortir d'une logique de guerre, qui conduira probablement à un conflit de longue durée, sans gagnants ni perdants, avec beaucoup de sang versé et beaucoup de souffrance pour les populations ukrainiennes.

Le pape François a raison de donner une définition forte de la guerre dans Fratelli Tutti : "Toute guerre laisse le monde dans un état pire que celui dans lequel il l'a trouvé. La guerre est un échec de la politique et de l'humanité, une reddition honteuse, une défaite devant les forces du mal". Si l'arrêt des combats semble bloqué sur le terrain, une trêve doit néanmoins être proposée publiquement avec détermination : que chacun prenne la responsabilité de l'accepter ou non. 

[traduction de la rédaction]


[ Andrea Riccardi ]