Portrait du père Jacques Hamel, un héros si discret

Il y a un an, le monde entier découvrait le visage de ce modeste curé de la banlieue rouennaise, soudain érigé en martyr du fanatisme terroriste. Une soudaine et triste célébrité qui tranche avec l’humilité dont a toujours fait preuve l’homme d’Église.

Quelle ironie. Lui si discret, si humble - voire effacé -, propulsé à la une de tous les grands quotidiens français et internationaux, de tous les flashs d’infos... En ce 26 juillet 2016, le père Jacques Hamel se serait bien évidemment passé de cette soudaine et macabre célébrité, fruit de l’acte insensé de deux jeunes fanatisés.

Ce jour-là, en effet, le monde entier découvre le visage de ce vieux prêtre normand âgé de 85 ans. La banque de photos n’est pas très riche : à peine une poignée de clichés, qui n’ont cessé depuis de tourner en boucle. Car à l’image d’une vie modeste et exclusivement consacrée à l’exercice de son ministère, Jacques Hamel aura rarement recherché l’exposition. Une existence parmi tant d’autres, mais qui n’est « en rien banale », écrit Andrea Riccardi, fondateur de la célèbre communauté caritative de Sant’Egidio en Italie, dans la préface du livre « Martyr - Vie et mort du père Jacques Hamel » de l’historien belge Jan De Volder*. « Au regard des transformations de la société française de ces dernières décennies », note Riccardi, la vie du père Hamel « est celle d’un homme qui n’a cessé de représenter une référence chrétienne pour une multitude : auprès des ouvriers des Trente Glorieuses qui ont vu leur monde déstabilisé, auprès des immigrés et des musulmans qui sont arrivés massivement depuis et, sans nul doute, auprès des simples fidèles et autres citoyens anonymes qui n’ont pu faire entendre leur voix mais qui, avec lui, ont connu cette transition. Il a incarné, au nom de l’Évangile, une manière de vivre avec les autres, différente, qui a sa valeur propre, y compris pour le bien public. »

Né le 30 novembre 1930 à Darnétal, fils aîné d’un père mécanicien à la SNCF et d’une mère tisserande (sa sœur Roseline naîtra une dizaine d’années plus tard), Jacques Hamel rencontre très tôt la foi chrétienne. Pendant que ses petits camarades s’agitent dans la cour de récréation, l’enfant solitaire s’amuse davantage à réciter la messe en imitant le curé. Enfant de chœur à 6 ans, il obtient même, par la suite, la permission de s’absenter de l’école pour assister le prêtre, lorsque se tiennent des obsèques.

« Je travaillerai jusqu’à mon dernier souffle »

Le jeune Jacques entre ainsi dès ses 14 ans au petit séminaire, au grand dam de son père, qui l’aurait bien vu ingénieur. Pendant qu’il s’immerge à 100 % dans l’enseignement religieux, l’adolescent échappe au moins au climat houleux qui règne à domicile : ses parents finissent par divorcer alors qu’il est âgé de 17 ans.

Suivront, de 1952 à 1958, ses années de formation au séminaire de Rouen. Jacques Hamel est ordonné prêtre dans la cathédrale le 30 juin 1958, et aussitôt nommé vicaire à la paroisse de Saint-Antoine-du-Petit-Quevilly. L’homme d’Église ne quittera jamais l’agglomération rouennaise. En 1975, après un passage par Sotteville-lès-Rouen, le voilà curé à Saint-Pierre-lès-Elbeuf, pour treize ans. Treize années durant lesquelles il accueille et prend soin de sa mère, chez lui. Le décès de cette dernière, en 1988, le marque profondément, alors qu’il rejoint, non loin, la paroisse de CléonFreneuse et Tourville.

Énième affectation dans cette périphérie industrielle et modeste, où Dieu trouve de moins en moins l’écoute de ses ouailles. A l’image des prêtres ouvriers, le père Hamel, qui a vécu et soutenu l’ouverture contemporaine de l’Église lors du concile Vatican II, se fait un devoir de mener sa mission au plus près des masses laborieuses. Fidèle parmi les fidèles, il n’en demeure pas moins critique, d’ailleurs, vis-à-vis du luxe parfois ostentatoire de l’Église, lui qui vit si chichement.

Rien d’étonnant, donc, à ce que le curé s’installe à Saint-Étienne-du-Rouvray en 2000, où les paroisses de Sainte-Thérèse et Saint-Étienne fusionnent alors en une seule entité. Le prêtre y officie jusqu’en 2005, année de sa retraite... qu’il refuse de prendre. Jacques Hamel tient à poursuivre son œuvre, en tant que prêtre auxiliaire. « Je travaillerai jusqu’à mon dernier souffle », lâche-t-il à l’occasion. Pouvait-il imaginer que les circonstances lui donneraient à ce point raison ?

La mort, le père Jacques Hamel l’a déjà côtoyée de très près. Au milieu des années 50, pendant la guerre d’Algérie. Le jeune séminariste n’échappe pas au service militaire et se voit envoyé sur le théâtre des opérations. Un jour, une rafale de mitraillette décime entièrement son convoi, le laissant seul survivant. Malgré le traumatisme, il veillera toutefois, par la suite, à ne jamais s’épancher sur l’épisode.

Algérie toujours, quarante ans plus tard : en 1996, le père Hamel est bouleversé par le sort presque prémonitoire des moines de Tibhirine, enlevés puis décapités sur fond de guerre civile entre le gouvernement et les groupes islamistes. « Pourquoi vouloir supprimer à tout prix le bien qu’ils faisaient ? », s’interrogeait-il face à la tragédie. La question, un an après ce funeste 26 juillet 2016, vaut toujours à son égard.

*Principale source de cet article, « Martyr - Vie et mort du père Jacques Hamel », de Jan De Volder (Éditions du Cerf), est un ouvrage très complet malgré sa parution dès septembre 2016, quelques semaines seulement après le drame.


[ Thomas Dubois ]