Entre guerre et paix, Dieu

Au soleil couchant, le clocher de Saint-Lambert s’éclaire brièvement comme une lanterne de bronze. Côté ombre, le spectacle saisit pour d’autres raisons. La tranquille et pimpante cité de Münster, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie (Allemagne), fut, il y a moins de cinq siècles, le siège d’une petite théocratie anabaptiste polygame, millénariste et ultraviolente, avant d’être reconquise par les troupes de son prince-évêque. Depuis, les trois cages dans lesquelles furent exposés en 1536 les cadavres des chefs anabaptistes restent bien tranquillement suspendues à la grande tour de l’église. On pense immanquablement aux horreurs commises par Daech, cages comprises. On répugne à l’admettre, mais le monopole de la barbarie n’appartient à personne.

À Münster, j’ai entendu le message du pape au congrès mondial des leaders religieux, organisé chaque année par la communauté de Sant’Egidio : « La guerre n’est jamais sainte et la violence ne peut jamais être commise ou justifiée au nom de Dieu. » C’est le contraire de ce que j’évoquais juste avant : on voudrait pouvoir l’assurer sans l’ombre d’un doute, comme une sorte d’additif au Credo. Mais l’histoire de l’Europe incite à la prudence, à la modestie, au moins à la vigilance. Quelques instants après le pape, l’imam de la mosquée al-Azhar a comparé le terrorisme à un « enfant orphelin dont on ne connaît ni le père ni la mère ». On ignorerait donc, dans la grande institution du Caire, qu’al-Qaida, Daech, et ceux qui régulièrement tuent des coptes revendiquent leur filiation avec l’islam originel ? Que le conflit entre chiites et sunnites a un peu à voir avec une certaine conception, certes discutable, de la foi musulmane ?

Les 500 ans de la Réforme vont être commémorés, entre autres occasions, les 22 et 23 septembre par un colloque à l’Hôtel de Ville de Paris et du 27 au 29 octobre par une grande fête à Strasbourg. Hebdo­madaire ­chrétien, La Vie s’honore d’être partenaire du double événement. Les déchirements de l’Europe chrétienne à l’époque de Luther constituent un perpétuel rappel à l’ordre fraternel. La guerre de Trente Ans a fait plusieurs millions de morts, éliminé un tiers de la population allemande. Dans l’absolu, et plus encore en proportion de la population mondiale, cela reste l’un des plus grands massacres de l’Histoire. Ce passé qui nous hante doit devenir la force qui nous pousse. Nombre de situations nous semblent si tranquillement acqui­ses qu’elles nous indiffèrent, voire nous lassent : l’engagement œcuménique, la paix en Europe, la liberté de circulation et de pensée… Là encore, est-ce si simple ?

Une dernière remarque depuis Münster. En l’absence de stratégie de désescalade, les crises graves se transforment immanquablement en catastrophes. La menace nucléaire en Corée du Nord en offre potentiellement le désastreux exemple, alors que la résolution d’une tension comparable avec l’Iran offre le modèle d’une relative réussite. Dans un autre ordre d’idées, on pourrait évoquer l’impasse espagnole à quelques jours d’un référendum sur l’indépendance de la Catalogne, déclaré illégal. La rigidité peut devenir fragilité par excès de vanité ou de vérité. Nous avons tous appris la fable du chêne et du roseau ! C’est aussi à Münster que fut signée la paix de ­Westphalie, en 1648. Ces traités firent le lit de l’absolutisme et de la puissance française, puisqu’on doit directement ou indirectement à cette guerre et à cette paix la forme même de notre pays : Artois, Franche-Comté, Alsace, Lorraine, Roussillon… Mais ils établirent un efficace cadre de stabilité, permettant de sortir du cercle infernal de violence dans lequel la rivalité des princes avait plongé l’Europe. Transposons hardiment : dans la prévention comme dans la résolution de conflits, le travail de médiation, de négociation et de compromis devrait être au centre de nos préoccupations politiques. Il est heureux qu’aujourd’hui, dans les Églises et les communautés chrétiennes – au premier rang desquelles se trouve Sant’Egidio –, beaucoup s’y emploient avec leur cœur et leur intelligence, leur réalisme et leur espérance.


[ Jean-Pierre Denis ]