Ukraine: nous voyons arriver les réfugiés. Editorial de Marco Impagliazzo sur l'Avvenire

Ukraine: nous voyons arriver les réfugiés. Editorial de Marco Impagliazzo sur l'Avvenire

Ils sont "comme nous", nous l'oublions jamais

Les images en provenance d'Ukraine nous choquent. Ce sont celles d'un théâtre de guerre. Des scènes de mort, de douleur et de peur. Mais en même temps, nous sommes frappés par l'exode rapide et sans fin d'une population de femmes, d'enfants et de personnes âgées (les hommes entre 18 et 60 ans sont interdits de quitter le pays) qui se déplace vers les frontières orientales de l'Union européenne, la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie. Des dizaines, des milliers de personnes qui, il y a quinze jours encore, menaient une vie normale - "notre" vie - se sont retrouvées à devoir choisir entre rester dans les villes et les villages à leurs risques et périls et affronter un voyage qui est toujours une inconnue et dans tous les cas un exil.

En lisant les reportages, en faisant défiler les photos, en suivant les films, nous ne voyons pas ceux que nous associons habituellement au mot "réfugiés". Les hommes sont minoritaires, les enfants sont nombreux, les femmes les accompagnent par la main, ils portent des vêtements chauds, leurs valises sont neuves, ils ont des animaux domestiques, des ordinateurs, des poussettes... Un monde semblable au nôtre a été plongé, par la barbarie de la guerre et le déchaînement des nationalismes, dans une condition jusqu'alors impensable. En un clin d'œil, sans la moindre préparation. Comme chacun d'entre nous pourrait le dire - si nous étions à leur place - de nombreuses personnes disent avec douleur et stupéfaction : "Nous sommes devenus des réfugiés".

En Ukraine, "coulent des rivières de sang et de larmes", a déclaré le pape. Ce sont les larmes et le sang auxquels nous n'étions pas habitués. Nous n'y étions - fautivement - pas habitués car nous avions l'illusion que les Palestiniens, les Syriens, les Yazidis, les Afghans, les Érythréens, les Tigrins, les Ahmadis, les Yéménites, les Congolais, les Somaliens, les Rohingyas, les Mozambicains, les Vénézuéliens, avaient une expérience existentielle incomparable à la nôtre. Nous avions tort. Ce qui se passe à quelques centaines de kilomètres à l'est de Trieste nous rappelle que, dramatiquement, il n'y a qu'un seul monde, que le démon de la guerre peut frapper ici et là, qu'il n'y a pas de paradis intouchables dans ce monde globalisé. Et donc ces larmes et ce sang sont sont parfaitement semblables à nos larmes et notre sang.

En effet, comme l'a écrit Umberto Saba, le poète d'Europe centrale qui a vécu les deux guerres mondiales, "la douleur est éternelle, / elle a une voix et ne varie pas". La douleur des réfugiés qui viennent de villes plus ou moins semblables aux nôtres, qui ont dû quitter des appartements plus ou moins semblables aux nôtres, qui ont dû choisir ce qu'ils emportaient avec eux plus ou moins comme nous le ferions, a la voix que notre douleur aurait eu si le mal qui traverse l'histoire avait frappé un peu plus à l'ouest.

Les histoires sont les mêmes, les rêves sont les mêmes, le désir d'avenir est le même. Et cela contribue à expliquer la vague de solidarité qui a également envahi la péninsule italienne, notre indignation, notre hospitalité, pas toujours si prompte par le passé . Nous accueillons ces réfugiés comme des frères... ou plutôt comme nos sœurs. Parce qu'elles sont comme nos sœurs, nos mères, nos filles.

Ce qui se passe nous incitera-t-il à réfléchir davantage, et d'une manière différente que par le passé, à la question des demandeurs d'asile ? Ce que nous voyons nous aidera-t-il à réagir avec bon sens - le Pape s'y est attardé aussi dans l'Angélus de dimanche - à comprendre que toute guerre est un abîme à refermer au plus vite, à refuser toute dérive belliqueuse, à ne pas attiser les flammes ?

Nous ne savons pas quels seront les effets à court et moyen terme. Quoi qu'il en soit, la conscience demeure que ces années difficiles, le terrible tournant historique que nous vivons actuellement, entre la pandémie et la guerre en Ukraine - presque un épiphénomène de cette "troisième guerre mondiale par morceaux" dont le pape François a si souvent parlé - nous font comprendre de plus en plus combien, dans ce monde globalisé, nous sommes vraiment tous dans le même bateau. Aujourd'hui, ce sont les Ukrainiens, qui sont "comme nous", mais hier c'était le tour d'autres "comme nous", que nous ne reconnaissions pas comme tels. Les sauver aujourd'hui, c'est nous sauver, car nous ne pourrons nous sauver qu'ensemble.

[traduction de la rédaction]


[ Marco Impagliazzo ]