Triste Noël pour les chrétiens au Moyen-Orient : familles divisées et poussées à l’exode. Editorial d'Andrea Riccardi
EDITORIAL

Triste Noël pour les chrétiens au Moyen-Orient : familles divisées et poussées à l’exode. Editorial d'Andrea Riccardi

paru dans le Corriere della Sera

Persécutés de la Terre Sainte à l’Irak, où festivités et illuminations ont été interdites 

 

Noël évoque, dans l'imaginaire chrétien, la ville de Bethléem, lieu de naissance de Jésus et lieu de naissance du christianisme. Qu'est-ce que Bethléem pour les chrétiens d'aujourd'hui ? Qui sont les chrétiens du Moyen-Orient ? Malgré leur statut de minorité, ils se sont attachés pendant des siècles à ces terres : Bethléem et Jérusalem, Antioche, où ils ont été appelés chrétiens pour la première fois, Damas, où Paul a commencé à prêcher, et bien d'autres lieux en Orient.

Après la domination ottomane, qu’ils ont subie en tant que dhimmis, protégés et discriminés simultanément, les chrétiens constituaient un élément clé de la mosaïque ethnico-religieuse du Moyen-Orient. Ils étaient nombreux. En 1914, la Palestine comptait 600 000 musulmans, 80 000 chrétiens et 60 000 juifs. En Syrie, les chrétiens étaient encore plus nombreux : 20 % après la première guerre et encore 14 % en 1948.

Aujourd'hui, l'atmosphère est triste à Bethléem, comme l'a écrit Cremonesi dans le Corriere della sera. Il n’y a pas de pèlerins. Bien que le maire palestinien soit encore chrétien, ses coreligionnaires sont moins de 10%, alors qu'en 1950 ils étaient 86%. Les relations avec la majorité musulmane ont changé. Le mur construit par Israël rend difficile la communication entre les territoires palestiniens. Les familles sont divisées : les uns vivent en Cisjordanie, les autres à Gaza.

La situation de la communauté chrétienne de Gaza (moins de 3 000 personnes) est très difficile du fait de la guerre : il y a 700 réfugiés dans l'église catholique de la Sainte Famille (où deux chrétiens ont été tués par des tireurs d'élite israéliens) et 500 dans l'église orthodoxe de Saint Porphyre (ancien évêque de Gaza au Ve siècle), où 18 personnes ont trouvé la mort lors d'un raid israélien.

Les chrétiens sont mal à l'aise dans l'environnement dominé par le Hamas, cependant il n'est pas facile de quitter Gaza. Dans tout le Moyen-Orient, ils sont poussés à l'exode. Il y a trente ans, un diplomate français, sous le pseudonyme de Jean-Pierre Valognes, écrivait un livre intitulé "Vie et mort des chrétiens d'Orient". À l'époque, l'avenir était incertain. Aujourd'hui, la fin est en vue. Et pas seulement en Terre sainte.

L'Irak, qui n'a jamais été reconstruit en tant qu'État après les guerres récentes, est en proie à l'insécurité. Les chrétiens ont subi les attaques de Daesh sur leurs terres historiques. Ils sont passés de 4 à 1% des Irakiens. Les victimes ont été nombreuses. Récemment, le patriarche chaldéen Sako, s'est vu retirer par le président irakien son décret de nomination, que même les sultans ottomans avaient accordé à ses prédécesseurs. En 1900, une escadre navale française a fait une démonstration militaire parce que la Sublime Porte avait tardé à accorder le décret au patriarche chaldéen de l'époque. Aujourd'hui, sans décret, Mgr Sako ne peut pas disposer des biens de l'Église. Il semblait s'agir d'un cas isolé, mais la mesure a été étendue à tous les évêques. Le patriarche dénonce "l'appropriation des ressources des chrétiens" et "le changement démographique systématique de leurs villes dans la plaine de Ninive". Les régimes Baas en Irak et en Syrie ont exercé autrefois une "protection" sur les chrétiens. Aujourd'hui, la chasse aux biens des chrétiens et des Eglises (pas toujours correctement gérés au Moyen-Orient) est ouverte. Le massacre des chrétiens pendant la Première Guerre mondiale et l'appropriation de leurs biens avait pourtant renforcé ensuite le consensus. En Syrie, les émissaires du régime imposent des primes aux chrétiens fortunés. L'abus de pouvoir favorise l'exode, auquel se joignent les jeunes chrétiens qui refusent le long service militaire. La guerre et l'anarchie montrent que, malgré la soumission des patriarches au système, la faveur du régime "laïc" du président Assad à l'égard des chrétiens fonctionne peu, dans un climat généralisé de décisions arbitraires. Le Liban, terre traditionnelle de liberté pour les chrétiens d'Orient, ne reste qu'une voie de passage pour les exodes, en raison de la grave crise économique et politique. Les chrétiens y sont nombreux (en 2018 ils étaient estimés à 34%, mais aujourd'hui ils sont en moins grand nombre), or l'avenir est incertain pour tous dans un pays fragile.

C’est un triste Noël pour les chrétiens. En Irak, le patriarche Sako a interdit les illuminations et les festivités en signe de deuil et de protestation. Andrea Santoro, un prêtre romain tué en Turquie en 2006, avait déclaré à ses amis occidentaux après une visite à certaines communautés languissantes du Moyen-Orient : "Ne laissez pas mourir le christianisme, ne le réduisez pas à des observances et à des plaisanteries.” Le christianisme peut en effet être dépassé par l'histoire, mais les choix des chrétiens et des Églises dans la transition historique de notre époque font également la différence. En Orient, comme en Occident. Ainsi le cardinal Martini a-t-il fait remarquer avec insistance que "l'histoire est sérieuse, et elle nous est confiée".


[ Andrea Riccardi ]